Article de Chloé Woitier paru sur LeFigaro.fr le 13 juillet 2011
80% des victimes de violences domestiques ne portent pas plainte, selon un rapport de l’Observatoire national de la délinquance. Parmi celles-ci, les victimes de viols conjugaux, dont seules 2% poussent la porte du commissariat.
30.000 femmes ont été victimes de viols conjugaux au cours des deux dernières années en France. Parmi elles, seules 2% portent plainte contre leur compagnon. Ces chiffres chocs sont issus d’une étude publiée mardi par l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP), au terme d’une enquête auprès de 40.000 personnes âgées de 18 à 75 ans.
Cette enquête montre que près d’un million de Français ont subi des violences dans leur ménage au cours des deux dernières années. Les femmes sont les principales victimes (près de 60%), essentiellement pour des coups donnés par un ou plusieurs membres de leur famille. Mais la violence peut aussi être sexuelle. Selon cette enquête, 80.000 femmes «ont été victimes d’au moins un viol ou une tentative de viol au sein du ménage», dont près de la moitié ont été perpétrés par le conjoint. Et bien souvent, la loi du silence règne.
«Ces chiffres ne me surprennent pas, cela fait des années que nous les donnons», explique au figaro.fr Emmanuelle Piet, présidente du Comité Féministe contre le viol (CFCV). Cette association, créée en 1985, a lancé il y a un mois la première campagne d’information sur le viol conjugal, avec un spot télévisé percutant. «Rappelons que jusqu’en 1992, le viol conjugal n’était pas un crime. Jusque là, la loi interdissait de pénétrer par contrainte ou par surprise autrui, mais autrui, ça ne pouvait pas être la conjointe !»
Le viol conjugal reste encore un tabou. Dans de nombreux esprits, il demeure assimilé au devoir conjugal : les époux doivent avoir des relations sexuelles, quitte à se forcer, ou à «forcer» l’autre. Les victimes ont du mal à se livrer, et encore plus à en parler à leur médecin. Selon le rapport, seules 11% des victimes en parlent à leur médecin, de peur que celui-ci n’en parle à l’époux. Les violences physiques sont également peu dénoncées. Seules 20% des victimes se rendent au commissariat, et la moitié porte plainte.
«Ces femmes ne parlent pas parce que ces hommes ne violent pas et ne frappent à la première rencontre. Sinon, elles les auraient immédiatement quittés», explique Emmanuelle Piet. «Elles se retrouvent engluées dans une situation familiale qui s’est installée petit à petit. D’abord le conjoint est jaloux et contrôle les déplacements, les amis, le travail … puis la sexualité.»
Viennent ensuite les premiers coups. «Selon nos chiffres, 40% de ces hommes violents tapent pour la première fois lors de la grossesse de leur compagne. Ils s’excusent en disant que l’arrivée d’un enfant les chamboule, et qu’ils redeviendront gentils à la naissance. Sauf que rien ne change.»
Nombre de femmes subissent du chantage de la part de leur conjoint si elles souhaitent en parler, ou les quitter. «Le chantage se fait sur le mode ‘si tu parles, on te prendra les gosses, je me tuerai, ou je te tuerai’» Une menace bien réelle, avec 140 décès dus aux coups du conjoint chaque année dans le pays. Soit une mort tous les trois jours. «Le moment de la rupture est de loin le plus dangereux», indique Emmanuelle Piet.
Selon le Comité Féministe contre le viol, la parole des victimes se libère grâce aux campagnes d’information. «En 25 ans, nous avons écouté et conseillé 41.000 victimes. À chaque fois, on note un pic lorsqu’une campagne a lieu. Cela agit comme un réveil.»
Le spot télévisé sur le viol congugal, diffusé du 14 juin au 15 juillet, n’échappe pas à la règle. «Nous avons reçu de deux à trois fois plus d’appels qu’à l’ordinaire, avec une moyenne de dix appels par jour pour parler d’un viol conjugal», souligne Emmanuelle Piet. «Beaucoup nous ont dit ‘c’est fou, j’ai vécu exactement la même chose que dans votre clip’». D’après la présidente de CFCV, près de 30% des femmes ayant contacté le collectif au cours des 20 dernières années ont fini par porter plainte.