Une réforme pénale fragile faute de moyens suffisants

Les professionnels de la justice redoutent une application à la marge de la réforme pénale.

 

AVEC CET ARTICLE

La réforme pénale divise la majorité

 Outre-Rhin, on évite les courtes peines de prison

 

En cause : les moyens très limités consacrés au suivi des condamnés en milieu ouvert.

 

« Ce texte, c’est sans doute ce qu’on a produit de mieux depuis de longues années, déclarait le mois dernier Robert Badinter devant la commission des lois du Sénat. Mais les moyens manquent. Or, on sait très bien que ce sont eux qui conditionneront son succès. » L’ancien garde des sceaux pointe là du doigt une des limites majeures du projet de loi.

 

DES MILLIERS DE DÉLINQUANTS CONCERNÉS

 

Des moyens, il va en falloir, en effet, pour suivre les milliers de condamnés susceptibles d’échapper à la prison ou de bénéficier d’une libération anticipée. Selon l’étude d’impact du gouvernement, la « contrainte pénale » pourrait concerner chaque année entre 8 000 à 20 000 délinquants. Quant aux condamnés bénéficiant d’une « libération sous contrainte », leur nombre devrait osciller entre 14 400 et 28 800.

Or, les conseillers d’insertion et de probation ont d’ores et déjà du mal à suivre les 180 000 condamnés en milieu ouvert. « Ils écopent déjà, en moyenne, de plus d’une centaine de dossiers, déplore Sarah Dindo, chargée des études à l’Observatoire international des prisons. Or, pour un suivi individualisé de qualité, il faudrait ne leur en confier qu’une quarantaine, comme cela se fait à l’étranger. »

 

DE NOUVEAUX MOYENS « DÉRISOIRES »

 

Consciente du surcroît d’activité lié à sa réforme, Christiane Taubira a prévu d’étoffer les rangs des services de probation. Au nombre de 4 000 aujourd’hui, les conseillers de probation devraient se monter à 5 000 d’ici à 2017. « On a déjà du mal à faire face actuellement à tous nos dossiers ! Alors, ce n’est pas avec 1 000 agents de plus qu’on va absorber le suivi de 20 000 condamnés supplémentaires ! », persifle un agent. Même le rapporteur du projet de loi, Dominique Raimbourg, concède qu’il s’agit de « moyens dérisoires ».

Côté policier aussi, on s’alarme des effets de la réforme. Et pour cause, le contrôle des condamnés en milieu ouvert leur incombera en partie. Or, aucune embauche n’est prévue pour faire face à cette nouvelle charge de travail. « Nous devrons contrôler, voire interpeller, les condamnés n’ayant pas respecté leurs obligations, explique un policier. Mais, on ne pourra pas tous les gérer. On se focalisera sur les plus dangereux. Quid des autres ? Si l’un d’eux récidive, qui sera tenu pour responsable ? Les agents de probation, les juges, nous ? »

Autant d’incertitudes qui font craindre à certains une application très limitée de la loi. « Si on sent que le suivi en milieu ouvert n’est pas de qualité, on prononcera peu de contraintes pénales », prévient Christophe Régnard, président de l’Union syndicale des magistrats (USM).

Un sentiment partagé par le sénateur (UMP) Jean-René Lecerf, l’un des rares élus de l’opposition favorables au projet Taubira : « Si la loi pénitentiaire de 2009 n’a pas débouché sur autant d’aménagements de peine que je l’aurais souhaité, c’est notamment faute de moyens. Or, aujourd’hui, on se retrouve malheureusement dans le même cas de figure. »

 

 

MARIE BOËTON

source : LaCroix.com
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