Ce blog a pris deux semaines de vacances, mais depuis le dernier billet il s’est passé pas mal de choses pour Alain.
Je me doutais, en commençant à écrire, que chroniquer sa semi-liberté pouvait avoir une incidence sur sa situation, à plusieurs égards. Rien que ma présence modifie forcément le rapport entre Alain et Julie, son assistante sociale. D’habitude, elle travaille en duo. En se prêtant à l’expérience, elle a accepté de fausser le jeu, d’introduire une tierce personne dans cette relation.
MAKING OF
Détenu en semi-liberté, Alain dort quatre nuits par semaine en prison et trois à l’hôtel. La journée, il étudie la psychologie et travaille dans un fast-food. Rue89 le retrouve chaque semaine lors de son entretien avec Julie, assistante sociale à l’Association de politique criminelle appliquée et de réinsertion sociale (Apcars).
Pour Alain, retrouver son parcours de délinquant, son évolution carcérale et ses doutes d’homme semi-libre retranscrits chaque semaine pouvait s’avérer perturbant, voire désagréable. Ces trois premiers mois, ça ne semble pas avoir été le cas. En tout cas, il n’a pas émis le vœu d’y mettre un terme.
Je craignais aussi de lui attirer de petits problèmes relationnels avec l’administration pénitentiaire, ou de grosses embrouilles avec ses anciens « collègues ». Croisons les doigts, mais jusqu’à présent rien de grave à signaler.
Cinq personnes m’ont écrit pour Alain
Et puis il y avait les réactions des riverains, dont je pressentais l’impact sur l’écriture à coup sûr, et des conséquences potentielles « dans la vraie vie ».
Quand Alain a décliné les propositions financières de certains lecteurs, mais fait part de son souhait de comprendre comment vivent « les gens honnêtes » qu’il imagine si lointains, cinq personnes m’ont écrit avec des propositions très différentes et complémentaires :
un étudiant, placé sous contrôle judiciaire et déjà incarcéré auparavant, veut lui offrir « un soutien moral » pour traverser des difficultés qui leur sont communes ;
une étudiante en médecine, passionnée de psychiatrie, met à sa disposition des articles théoriques payants, qu’elle peut obtenir facilement ;
un jeune handicapé bénéficiant d’entrées gratuites au musée, pour lui et la personne qui l’accompagne, peut lui en faire profiter ;
un patron de PME lui propose de venir faire des inventaires dans sa boutique ;
une greffière lui transmet ses « meilleurs vœux de courage, bonheur, réinsertion ».
Alain était touché par ces messages, qui auront peut-être une suite. J’ai pris un café avec lui le 20 décembre, pour en discuter un peu. Il était en pleins partiels à la fac.
Première sortie au théâtre
Quelques jours avant, au dernier rendez-vous à l’Apcars avant Noël, un collègue de Julie la remplaçait exceptionnellement. Xavier, un grand type en jean, voix douce, pull en laine et cheveux en bataille. Il a tourné son ordinateur pour qu’Alain puisse lire avec lui le programme de l’association Cultures du cœur (qui fournit des places gratuites pour des spectacles, des musées, etc.), dans la rubrique « théâtre ».
« Vous me dites, je descends doucement le temps de jeter un coup d’œil. »
En silence, ils regardent pour quelles pièces Alain peut obtenir des places gratuites.
« Oh, “Andromaque”. »
Les horaires ne collent pas. Ils continuent à descendre.
« “Le Médecin malgré lui”, c’est de Molière c’est ça ?
– Oui. Au Théâtre Saint-Michel, le 28 décembre. Ça vous dit ?
– Hum hum.
– Je peux vous proposer une place pour vous seul ou aussi pour une autre personne.
– Oh, je suis tout seul.
– Vous venez une demi-heure à l’avance avec ce billet. Pas besoin de pièce d’identité. »
Première sortie culturelle depuis longtemps. Peut-être que cette année il y en aura d’autres.