Une équation à milliers de détenus pour Taubira

Bénéficiant d’une bonne image, la garde des Sceaux risque de voir son budget grevé par les constructions de prisons décidées sous Sarkozy.

 

Alors que les magistrats fouillent leurs archives pour trouver d’éventuelles prises de position de Christiane Taubira sur la justice, d’autres ont réagi avec une rapidité surprenante à sa nomination : les connaisseurs de la question pénitentiaire. Plus étonnant, ils semblent heureux de leur nouvelle ministre, des militants de l’Observatoire international des prisons (OIP) – classés «gauchistes irresponsables» par la majorité sortante – aux syndicalistes de FO pénitentiaire, franchement sécuritaires.

 

Christiane Taubira va devoir soigner ce quasi-unanimisme des premiers jours, ce qui ne sera pas simple. Pas seulement parce qu’il faudra calmer les mouvements de surveillants qui se succèdent depuis un mois (FO appelle à de nouvelles actions la semaine prochaine). Mais surtout parce que le dossier pénitentiaire représente un enjeu budgétaire énorme… qui pourrait vider de leur contenu les quelques promesses de campagne de François Hollande en matière de justice.

 

Surpopulation. «Il va falloir très vite faire un tri entre les projets de construction de prisons, y compris pour les revoir et réorienter les budgets», confiait la semaine dernière (avant la nomination de la garde des Sceaux), Marie-Pierre de la Gontrie, responsable des questions de justice au PS. Le candidat Hollande a promis la création de 1 000 postes chaque année, à répartir (on ne sait dans quelles proportions) entre la justice et la police. Dans ce match, la première n’aura sans doute droit qu’à la portion congrue. Pire, tous les postes créés seront mécaniquement absorbés par la pénitentiaire (les surveillants et les travailleurs sociaux qui suivent les détenus) si la nouvelle garde des Sceaux ne revient pas rapidement sur les orientations des gouvernements Fillon : confier aux gardiens le transfèrement des détenus, dont les policiers se chargeaient jusqu’à présent, et construire toujours plus pour atteindre les 80 000 places de prison (il existe aujourd’hui 57 170 places pour 67 000 personnes incarcérées).

 

Votée en début d’année, la loi programmant la création de 24 000 places d’ici à 2017 représente un investissement de 3 milliards d’euros minimum selon le Sénat (dirigé par la gauche). A rapporter aux 7 milliards du budget annuel de la justice… Dans une réponse à l’OIP, Hollande a laissé entendre qu’il reviendrait sur ce projet, en rappelant que les parlementaires de gauche s’y étaient opposés. «La fuite en avant vers le tout-carcéral ne résout rien, écrit-il. Je veux faire qu’il y ait des peines alternatives à la prison.»

 

Le Président a promis la suppression des peines planchers (qui risque d’être moins rapide que prévu) : cela pourrait aussi, en diminuant la durée moyenne de détention, dégonfler la surpopulation. Ces sentences majoreraient le nombre de personnes incarcérées de 10 000, selon le Contrôleur des prisons, Jean-Marie Delarue. «Entre juin et octobre 1981, Robert Badinter a bien réussi à baisser la population carcérale de 20%, rappelle Matthieu Bonduelle, du Syndicat de la magistrature (gauche). Il faut entreprendre une désinflation carcérale.»

 

En attendant ses prises de position, Taubira démarre sur une bonne image : «C’est quelqu’un qui a du caractère, a déclaré Christophe Marquès, secrétaire général de FO-pénitentiaire, sur France Info. Elle fonce quand elle a des idées bien arrêtées. Elle connaît bien la politique pénitentiaire et en Guyane, elle a un établissement très difficile dont elle suit les problèmes.» La CGT prisons a salué une nomination «hautement symbolique d’un sérieux changement». «C’est une femme très engagée sur la question. Carrée, elle monte au créneau aussi bien sur le sida en prison en Guyane – où le taux de prévalence est dix fois plus élevé qu’en France métropolitaine -, que sur les conditions de travail du personnel : la prison de Rémire-Montjoly est extrêmement violente», témoigne aussi François Bès, de l’OIP.

 

Pigeons. Il faut aller chercher, à l’UMP, Jean-Paul Garraud, rapporteur de la loi pénitentiaire en 2009, pour entendre un tout autre refrain : «Son discours est caricatural. A droite, nous sommes toujours à l’âge des cavernes quand elle est censée représenter le progrès. C’est toujours pareil : nous, la France des colonisateurs, et de l’autre côté, les DOM exploités.» Qu’elle s’élève contre les fouilles intégrales, soutienne les surveillants agressés ou qu’elle interpelle le ministre de la Santé, en 2004, sur les tonnes de fientes de pigeons qui rendent irrespirable l’air de la prison guyanaise, Christiane Taubira s’est plusieurs fois exprimée sur la prison – souvent de manière emphatique, avec force références aux droits de l’homme.

 

«J’ai toujours été impressionné par la force de son verbe qui en aurait fait un bon avocat, dit Etienne Blanc, député UMP. Mais je n’ai jamais entendu de réponses de fond sur la lenteur de la justice, sa mauvaise répartition sur le territoire…» Christiane Taubira sait aussi parfois discourir avec piquant. En 2009, à l’Assemblée, elle répond à Etienne Blanc, qui justifie les fouilles de détenus par les agressions contre des gardiens : «Je me disais que si, dans cet hémicycle, l’on était obligé de partager un siège à plusieurs, une telle surpopulation susciterait peut-être quelques impatiences et un gnon pourrait partir de temps en temps !»

 

SONYA FAURE

source : Libération.fr
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