Un “numerus clausus” pour les prisons ? La proposition de Dominique Raimbourg

Article publié sur lemonde.fr le 17/11/2010


Les prisons sont pleines, et le mal est chronique : 61 428 détenus au 1er novembre 2010, pour 56 455 places. Le député Dominique Raimbourg (PS, Loire-Atlantique) a déposé le 13 juillet une proposition de loi pour « instaurer un mécanisme de prévention de la surpopulation pénitentiaire », qui sera examiné jeudi 18 novembre. Le texte sera très probablement repoussé lors du vote le 23 novembre, la commission des lois n’y étant pas plus favorable que l’UMP.


Reste que la question d’un numerus clausus – un vieux débat – est intéressante, et le rapport Raimbourg pose très clairement le problème.
Les dangers de la surpopulation carcérale ne sont contestés par personne : le rapport de la commission d’enquête du Sénat en 2000 s’intitulait assez justement, « les prisons, une humiliation pour la République » . Dix ans après, les améliorations sont minces.


Dans son premier rapport public pour l’année 2008, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté avait constaté dans les établissements pénitentiaires des «conditions de vie dans lesquelles l’intimité n’a que peu de place » : « La promiscuité est quasi-obligatoire en cellule, reflet du surpeuplement des lieux de détention en maison d’arrêt ; ce sont couramment deux voire trois détenus qui sont entassés dans une cellule de 7 à 10 m², conçue à l’origine pour un seul détenu. Ce constat, unanimement dénoncé, est une source de violence carcérale aujourd’hui scandaleuse, au regard des missions de l’institution ».


Les conditions de détention sont indignes, compliquent encore tout projet de réinsertion des détenus et sont par ailleurs contraires à la loi : « l’administration pénitentiaire garantit à toute personne détenue le respect de sa dignité et de ses droits », annonce la loi pénitentiaire du 25 novembre 2009, et l’Etat est régulièrement condamné.


Le juge des référés du tribunal administratif de Poitiers s’est ainsi prononcé les 14 et 15 septembre 2010 sur 17 actions de détenus qui protestaient quant à leurs conditions de détention à la maison d’arrêt de Poitiers et à la centrale de Saint-Martin-de-Ré. Onze d’entre eux ont obtenu gain de cause, en raison notamment de l’absence de respect de leur intimité, contraires à la dignité de la personne humaine et que cette faute, de nature à engager la responsabilité de l’État, leur avait occasionné un préjudice moral. Les montants alloués aux détenus s’échelonnent entre 500 et 2 500 euros, en fonction du temps passé en détention.


L’idée la plus simple consiste ntaurellement à construire des prisons. C’est ce qu’a décidé le gouvernement en 2002, avec le programme de 13 200 places, complété dans le projet de loi de finances pour 2011 par (l’ancien) garde des sceaux Michèle Alliot-Marie avec 5 000 places supplémentaires. Ce nouveau programme doit permettre de porter à 68 000 places la capacité d’accueil du parc pénitentiaire, dont plus de la moitié aura été ouverte après 1990.


Rien n’est résolu pour autant, puisque le nombre de détenus continue à augmenter régulièrement. Comme le souligne Martine Herzog-Evans , professeur à l’université de Reims, « construire des prisons n’a jamais amélioré durablement la situation des détenus. C’est, en premier lieu, parce que nombre de ces nouvelles prisons remplacent des établissements trop vieux, dans un état de délabrement avancé, qu’il faut alors supprimer purement et simplement. C’est, en deuxième lieu, parce que les politiques pénales étant à l’origine de la surpopulation (…), d’aggravation en aggravation de la réponse répressive, les prisons se remplissent encore et encore, en sorte que les constructions ne suffisent pas à répondre à cette demande croissante ».


Le taux moyen d’occupation des prisons, selon le rapport Raimbourg, est de 110 %. Mais il cache, d’une part, la différence des situations en fonction des types d’établissement, et, d’autre part, de très fortes disparités locales.
D’abord, il existe de fait un numerus clausus dans les établissements pénitentiaires pour peines (centres de détention et maisons centrales). Le principe « une place, un détenu » est appliqué strictement : lorsqu’un établissement pour peines a une capacité maximale théorique fixée à 100 places, il accueille, au plus, 100 détenus. Du coup, le taux global d’occupation des centres de détention est de 94 % (10 514 détenus pour 11 203 places), tandis que celui des maisons centrales est de 79,5 % (1 209 détenus pour 1 518 places).

En revanche, le taux global d’occupation des 101 maisons d’arrêt, qui accueillent des prévenus, mais aussi des condamnés à des peines de moins de deux ans ainsi que des condamnés à des peines d’une durée supérieure dans l’attente de leur transfert dans un établissement pour peines, s’élève à 124 % (25 964 détenus pour 20 888 places).
Le niveau de suroccupation des quartiers maison d’arrêt (QMA) était, au 1er janvier 2010, similaire à celui des maisons d’arrêt, avec un taux de 122 % (13 962 détenus pour 11 432 places). Au 1er janvier 2010, le nombre total de détenus en maison d’arrêt et en quartier maison d’arrêt était de 41 401 pour 33 265 places. Il y a donc, en moyenne dans l’ensemble des maisons d’arrêt, cinq détenus pour quatre places disponibles.


Mais ce taux global d’occupation de 124 % masque à son tour de très fortes disparités locales. Ainsi, sur ces 101 maisons d’arrêt, si 26 ont un taux d’occupation inférieur à 100 %, 56 ont un taux compris entre 100 et 150 %, 14 un taux compris entre 150 et 200 % et 5 un taux supérieur à 200 %, notamment à Fontenay-le-Comte (205 %), Orléans (206 %), Tours (210 %) ou La Roche-sur-Yon (255 %). Sur les près de 26 000 personnes écrouées en maison d’arrêt, 8 500 sont détenues dans des établissements dont le taux d’occupation est compris entre 125 et 150 %, 4 400 dans des établissements dont le taux d’occupation est compris entre 150 et 200 % et 900 dans des établissements dont le taux d’occupation est supérieur à 200 %.


Le principe de l’encellulement individuel remonte à la loi Béranger de 1875, et n’a jamais pu être appliqué depuis. « Ce droit, note le député, réaffirmé par l’article 87 de la loi pénitentiaire, ne saurait ici être passé sous silence, quand bien même l’article 100 de la loi pénitentiaire permet à l’administration pénitentiaire d’y déroger pendant une durée de cinq ans à compter de la loi « au motif tiré de ce que la distribution intérieure des locaux ou le nombre de personnes détenues présentes ne permet pas son application ». Votre rapporteur est convaincu que ce droit à l’encellulement individuel, qui n’est pas respecté aujourd’hui, ne le sera pas davantage le 25 novembre 2014, date d’expiration du moratoire de cinq ans de l’article 100 de la loi pénitentiaire. »


Le « mécanisme de prévention de la surpopulation pénitentiaire » de la proposition de loi se fonde sur deux mesures : l’interdiction du dépassement des capacités d’accueil des établissements pénitentiaires d’une part ; la mise en place d’une libération conditionnelle de droit aux deux tiers de la peine d’autre part.
Dominique Raimbourg veut « prévoir un sas, dans chaque maison d’arrêt, dans lequel serait incarcéré tout nouvel arrivant. Dans les deux mois, un détenu en fin de peine devra automatiquement sortir. Soit grâce à la procédure d’aménagement de peine, pour les détenus condamnés à cinq ans ou moins et dont le reliquat est égal ou inférieur à deux ans. Soit par placement sous surveillance électronique, pour les détenus qui ont un reliquat de peine de quatre mois ou moins ».



Le député fait observer que la réforme est parfaitement possible, 21% des détenus étant à trois mois ou moins de leur fin de peine, selon l’administration pénitentiaire, et les « flux » d’entrées et de sorties sont de 85 000 détenus chaque année, pour « un stock » permanent de 63 à 64 000 personnes incarcérées.
La seconde possibilité de sortie d’un détenu serait une libération conditionnelle automatique aux deux-tiers de la peine, à condition qu’un juge de l’application des peines ne s’y oppose pas. « Ce n’est pas une innovation formidable, indique le député, le système existe déjà en Grande-Bretagne, en Espagne, en Finlande, aux Pays-Bas. La libération conditionnelle, sous contrôle, a démontré qu’elle permettait de limiter la récidive, contrairement aux sorties sèches. »


La proposition de loi, qui devrait être votée par le seul groupe SRC (socialistes, radicaux, citoyens) ne fait évidemment pas l’unanimité, même chez les militants des prisons. Dominique Raimbourg a énuméré par avance les six objections qu’on pouvait lui présenter.
1. Les libérations conditionnelles sont une forme de contrôle social qui n’est pas conforme aux droits de l’homme. L’argument est mince : ce contrôle social n’est que la continuation de la peine pour laquelle le détenu a été condamné.
2. Les Français souhaitent que les détenus purgent leur peine jusqu’au bout. « La population souhaite surtout qu’on limite la récidive et la délinquance, et 30 000 peines ne sont pas exécutées dans ce pays, ce qui est un problème bien plus redoutable.»
3. Le mécanisme constitue une rupture de l’égalité, en fonction de l’encombrement des maisons d’arrêt. « L’argument est relativement fondé, admet le député, mais la rupture d’égalité est déjà réelle, selon que l’on soit incarcéré dans une prison surpeuplée ou pas, qu’on puisse travailler ou pas ».
4. C’est une proposition laxiste. « Absolument pas, assure Dominique Raimbourg, la proposition de loi n’interdit pas l’entrée en prison et est compatible avec n’importe quelle politique pénale. Libérer un détenu sous surveillance électronique qui n’a plus que quatre mois à faire, ce n’est pas libérer des criminels dangereux ».
5. C’est une proposition coûteuse. Il est vrai que les moyens de contrôle au sortir de la détention doivent être financés, mais le coût d’une journée en détention est de 80 euros, celui d’une surveillance de 15 euros.
6. La proposition de loi vient « percuter » l’application de la loi pénitentiaire, dont tous les décrets ne sont pas sortis – c’est l’un des arguments de la commission des lois. Le député propose de différer l’application de sa réforme, si elle était adoptée, de 18 mois

source : lemonde.fr
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