C’est une maladie diagnostiquée de longue date aux prisons françaises, mais qui n’a pas encore trouvé de remède miracle. La surpopulation carcérale n’a de cesse de s’aggraver. Dans la ville franc-comtoise de Belfort, elle est encore plus importante que la moyenne nationale : le taux d’occupation y atteint 131%, avec 72 détenus pour une capacité de 39 places (au 1er janvier), contre 119% en France(1).
A cette situation s’ajoutent des conditions vie en détention qualifiées «d’indignes» par le contrôleur général des prisons dans son dernier rapport sur la maison d’arrêt de Belfort, en date de 2009. Les cellules y sont décrites comme «exiguës, encombrées et vétustes». Sont également recensés des problèmes d’intimité en raison de l’aménagement des WC, le manque de lumière, les carreaux cassés… Le rapport note aussi que les «matelas à même le sol constituent une situation fréquente en raison du sureffectif chronique de l’établissement», chiffres à l’appui : «En 2008, 425 détenus ont subi un couchage au sol, pendant 147 jours.» La même année, une cellule de 22m2 a accueilli jusqu’à neuf détenus. Pour désencombrer les lieux, des transfèrements réguliers étaient opérés vers les maisons d’arrêt de Besançon (Doubs), ou de Lure (Haute-Saône). Sauf que cette dernière prison a été fermée en avril dernier, en raison de sa vétusté et d’un risque d’effondrement.
Résultat : la situation ne s’améliore pas à Belfort. Le maire de la ville, l’UMP Damien Meslot, élu en mars dernier, suggère ainsi l’expérimentation d’un projet inédit en France : une prison binationale, partagée avec la Suisse, et située côté français, à Delle, à la frontière entre les deux pays, qui partagent déjà un aéroport, à Bâle-Mulhouse. L’élu, qui a adhéré à ce projet imaginé par le maire de la ville de Delémont (Suisse), jumelée avec Belfort, a écrit ce mercredi à la garde des Sceaux pour lui faire part de son idée.
Comment est né ce projet de prison binationale ?
Je viens d’être élu maire de Belfort, et je voulais relancer notre jumelage avec la ville suisse de Delémont (canton du Jura). J’ai donc reçu le maire, Pierre Kohler [du Parti démocrate chrétien suisse, ndlr] il y a deux semaines, pour renouer les liens quelque peu distendus entre les deux villes. C’est lui qui a évoqué l’idée d’une prison binationale, un peu sur le modèle de l’aéroport de Bâle-Mulhouse, et je l’ai tout de suite trouvée intéressante. D’une part parce qu’elle permet d’augmenter la coopération France-Suisse, et d’autre part parce qu’elle répond à un problème connu des deux côtés de la frontière. Un élu avait par exemple suggéré de placer des détenus de Suisse romande dans le sud de l’Allemagne, pour endiguer la surpopulation carcérale.
Concrètement, comment est-ce que ça fonctionnerait ?
La justice de chaque pays déciderait d’envoyer, ou non, les détenus dans la nouvelle maison d’arrêt, qui remplacerait celles de Belfort, Delémont et Porrentruy [également en Suisse] (2). Sur place, seuls le gîte et le couvert seraient internationaux, si j’ose dire. Il ne s’agirait en rien de priver chaque Etat de ses décisions régaliennes. Par ailleurs, la législation de nos deux pays est assez similaires, tant pour les procédures que pour les contrôles. L’avantage serait d’abord d’améliorer les conditions d’accueil, et de mutualiser les fonds entre les Etats. Et, au-delà, des emplois seraient créés.
Justement, ce projet a-t-il été chiffré ? Comment seraient répartis les financements ?
Pour l’heure, il ne s’agit que d’une proposition, que nous avons soumise à Christiane Taubira. Nous laissons le soin à ses services d’en étudier la faisabilité. Mais nous pourrions imaginer soit que chaque pays finance la moitié de l’investissement et du fonctionnement, soit que l’un des deux pays paie pour la construction, et l’autre le fonctionnement. Une convention internationale sera également nécessaire.
Que deviendrait l’actuelle prison belfortaine ?
Le bâtiment, même s’il est vieillot, est situé en plein centre-ville, tout près de la mairie, qui pourrait y installer certains de ses services, ou en faire des habitations.
(1) Au 1er avril 2014, la France comptait 68 859 détenus, pour 57 680 places de prison.
(2) Les prisons de Delémont et Porrentruy disposent chacune d’une quinzaine de places.