Le Sénat a adopté le 26 juin dans le cadre de la réforme pénale, un amendement mettant en place un programme de lecture en prison, donnant lieu à des remises de peine.
Lire pour sortir de prison, l’idée peut paraître incongrue. Déconnectée de la réalité carcérale : surpopulation, insalubrité, violence physique et morale, détresse psychologique, indigence généralisée. Pourtant, dans le cadre de la réforme pénale, le gouvernement a présenté cet amendement, adopté au Sénat, instaurant un programme de lecture intitulé « Lire pour en sortir ».
Initié par l’avocat Alexandre Duval-Stalla, l’amendement avait d’abord été porté par le député UMP Hervé Gaymard, mais rejeté par l’Assemblée nationale. L’idée suit le principe de la carotte, mais a les visées vertueuses d’une élévation par le beau : des crédits de remises de peines pour lire des (grands) romans. À raison de cinq jours par ouvrage – avec une fiche de lecture contrôlée par le membre de l’association de suivi socio-judiciaire en charge du projet – et de douze livres par an, les personnes détenues peuvent bénéficier de deux mois maximum de remise de peine par an. Un dispositif approchant a été mis en place au Brésil il y a deux ans.
Pour Judith Le Mauff, chef de service au Safran, l’un des centres d’hébergement et de réinsertion de l’association Apcars, la dure réalité de la prison ne remet pas en cause la pertinence de l’idée. « On n’est pas dans une utilité directe de l’action, et c’est justement cela qui est extrêmement intéressant : sortir de la paperasse administrative, de la gestion du quotidien et des soucis matériels immédiats ». La lecture comme vecteur entre soi et le monde, pour travailler la question de l’altérité autrement que par le biais de l’univers carcéral, dans une optique de réinsertion. « Pour essayer de penser sa sortie », dit Judith le Mauff.
C’est cette vertu d’élévation personnelle qui est aussi pointée par l’avocate Virginie Bianchi, ancienne directrice de la maison centrale de Clairvaux (Aube) : « la plupart des détenus sont des gens modestes qui ont eu peu de contacts avec la culture. La lecture permet un développement personnel, de l’imaginaire, permet de s’évader. C’est très valorisant pour des gens qui ont souvent une image d’eux dégradée, réduite à un corps incarcéré » estime t-elle. La (re) construction d’une personnalité pour se réadapter à la vie en liberté. Car, rappelle Judith le Mauff, un des effets de la détention est de faire perdre l’autonomie. Sur le long terme, on ne sait plus faire grand-chose. La lecture remplace la personne dans un contexte actif, pour se réapproprier une autonomie. »
« Tout le monde a intérêt à ce que les détenus se sentent un peu moins mal »
La grande inconnue reste, comme dans beaucoup de bonnes intentions affichées dans cette réforme pénale, la question des moyens. La question se pose d’abord et surtout dans les maisons d’arrêts, où la surpopulation carcérale est la norme. Ensuite, la journée d’un détenu est très organisée, et particulièrement courte : il faut concilier travail, formation, sport et culture. « Toute activité nouvelle vient bouleverser l’emploi du temps, il y a une concurrence des activités. La surpopulation en maison d’arrêt est clairement un obstacle » affirme l’avocate.
Le suivi, prévoit le programme, doit être assuré par l’association Lire pour en sortir qui s’appuiera sur le Secours catholique, dont Alexandre Duval-Stalla est un conseiller. L’évaluation du travail de chaque détenu dépend de son niveau intellectuel, de son bagage culturel et de ses compétences de base. Beaucoup de personnes détenues sont illettrées ou ont un niveau d’alphabétisation très faible, l’idée est d’effacer ou au moins d’atténuer ces lacunes, « ce qui risque d’être compliqué pour les courtes peines » note Virginie Bianchi. Mais pour elle, il faut avoir un esprit étroit pour penser que la culture est superflue et doit être délaissée au profit de priorités plus prosaïques. « C’est très petit bourgeois et méprisant de penser que la lecture n’est pas utile pour les personnes détenues. Tout le monde a intérêt à ce que les détenus se sentent un peu moins mal » pense-t-elle. Une mesure de tranquillité pénitentiaire, par surcroît.