Le projet de loi Taubira doit être débattu mardi à l’Assemblée nationale. L’UMP use de tous les arguments pour empêcher l’adoption du texte.
Au Parlement, il n’y a plus grand-chose à espérer du débat autour de la réforme pénale de Christiane Taubira. D’abord parce que la procédure accélérée choisie par le gouvernement ne le permet pas. Jean-Jacques Urvoas, président PS de la commission des Lois à l’Assemblée nationale, y était farouchement opposé. Il l’a fait savoir à maintes reprises, tout comme le rapporteur du texte, Dominique Raimbourg. Impossible, dans des délais aussi brefs et au vu de la complexité du sujet, de tenir des débats apaisés. Ensuite, parce que les écarts idéologiques sont bien trop grands. Depuis deux ans, Christiane Taubira se bat contre les mêmes poncifs : le « laxisme », « l’angélisme », la « câlinothérapie ». Et il n’y a personne ou presque dans l’opposition pour vanter les mérites des peines alternatives à l’emprisonnement, dont la ministre de la Justice a pourtant fait le coeur de sa politique.
Christiane Taubira, quoi qu’on en pense, a changé les dogmes. Pour ses détracteurs, son idéologie est « délétère ». Selon ses partisans, elle incarne le courage. Celui d’arguer que la prison n’est pas la réponse à tout. Qu’elle ne favorise ni la réinsertion des condamnés ni la protection de la société. Qu’il est bien aisé de parler des victimes, de leurs drames et de leurs tragédies, mais qu’il est peut-être préférable d’en tirer un enseignement. Les rares études sur le sujet parlent d’elles-mêmes : les détenus qui sortent de prison sans accompagnement (sorties sèches) récidivent plus que les autres. 63 % des personnes sortant de prison sans aménagement de peine font à nouveau l’objet d’une condamnation dans les cinq années qui suivent la libération. Ce taux tombe à 55 % pour ceux qui sortent de prison sous le régime de la semi-liberté (on dort en prison) ou du placement sous surveillance électronique (bracelet électronique). Les personnes condamnées à une peine alternative (qui se substitue à la prison) sont seulement 45 % à récidiver.
« Blanc-seing pour les récidivistes » (Fenech)
Dans l’opposition, les raccourcis sont parfois faciles. On préfère souvent citer les crimes les plus odieux (meurtre du Chambon-sur-Lignon, affaire Meilhon…) que les familles de victimes aient eu à endurer. « Le procédé est abject, répond Christiane Taubira. Le projet de loi ne concerne essentiellement que les délits, et pas les crimes. » Qu’importe, on continue. L’opposition ne cesse de dénigrer un projet de loi, « véritable blanc-seing aux récidivistes » (Georges Fenech, UMP), « encouragement à la récidive » (Yannick Moreau, UMP). D’aucuns ne considèrent pas la contrainte pénale de Taubira, dispositif phare de sa réforme qui consiste pour un condamné à purger sa peine en milieu ouvert (au milieu de la communauté), comme une véritable peine. À part peut-être le député UMP Frédéric Lefebvre, auteur de nombreux amendements, qui tempère : « Les alternatives à la prison doivent être ciblées et réservées à certaines catégories de délinquants, comme les primodélinquants ayant commis des délits mineurs, et aux personnes placées en détention provisoire, dès lors qu’il n’y a pas eu atteinte aux personnes (violences, NDLR) ».
« Dans cette perspective, poursuit le député, le bracelet électronique, mais aussi la contrainte pénale prévue dans le projet de loi peuvent constituer des réponses. Ce que je ne peux accepter, c’est le développement des peines alternatives sans opérer de distinction entre les auteurs de violences physiques ou morales et les autres délinquants. » Pour les autres députés, à la lecture des amendements déposés, la prison est toujours une manière de « marquer le coup ».
S’il n’y a pas de sanction apparente, comment, dès lors, faire comprendre au condamné qu’il s’est égaré ?, s’interrogent les élus. Selon eux, Taubira cherche avant tout à réinsérer les condamnés plutôt qu’à les punir. L’impunité pour les délinquants, l’oubli pour les victimes. Marion Maréchal Le Pen, députée Front national, assène : « D’un juge des actes, on passe à un juge des personnes. » Le « risque d’arbitraire » et l’éventuelle erreur judiciaire ne font alors « qu’augmenter », ajoute-t-elle.
Les députés UMP pour la prison à vie
Devant une idéologie qu’ils vomissent, les députés UMP déposent des centaines d’amendements qui seront débattus en séance publique. Avec une mauvaise foi évidente et un ancrage clairement droitier [on ne fait pas la différence entre les amendements d’un Moreau (UMP), d’une Le Pen (FN) ou d’un Bompard (extrême droite)], les élus détricotent l’intégralité du projet de loi Taubira. Des dizaines d’amendements, souvent similaires, demandent purement et simplement la suppression de chacune des dispositions du texte. Les autres ne font qu’enrichir l’arsenal ultra-répressif à la disposition des juges. Pour Éric Ciotti, il faut ainsi interdire automatiquement aux délinquants sexuels qui ont purgé leur peine de s’installer ou de séjourner dans la commune de leurs victimes. Persuadé que les Français « ont perdu confiance en la justice », le député souhaite également empêcher que la présomption d’innocence ne se « transforme en présomption de culpabilité médiatique ». Une allusion à peine voilée aux multiples affaires Sarkozy qui ont fuité dans la presse. Le député imagine un durcissement des sanctions : alourdir la violation du secret de l’instruction.
Pour MM. Daubresse, Huet et Le Mèner, les délinquants financiers n’ont rien à faire en prison. C’est en tout cas ce qui résulte d’un de leurs amendements, selon lequel la prison ne doit pas être prononcée « pour les crimes qui ne portent pas directement atteinte à une personne physique ». La délinquance en col blanc n’a plus de souci à se faire…
Christiane Taubira veut supprimer les peines plancher (seuil minimal de peine à infliger à un récidiviste) ? L’UMP au contraire veut en élargir le champ à tous les cas de réitération. Au risque de réduire encore l’appréciation des juges et l’individualisation des peines selon la situation sociale, familiale et matérielle de chacun. Taubira souhaite favoriser les sorties encadrées des condamnés aux deux tiers de leur peine ? L’UMP veut réintroduire la prison à vie, sans aucune échappatoire, allant à contresens de la jurisprudence européenne. Enfin, Taubira a fait de l’aménagement de peine sa politique centrale, allant – un peu bizarrement – jusqu’à en faire un critère de performance de l’administration pénitentiaire ? Les députés de droite réclament la construction de plus de places de prison, grâce à des partenariats public-privé décriés. Le message envoyé aux délinquants, expliquent-ils, doit être fort : l’impunité n’existe pas. Encore faudrait-il que les peines aient un sens.
Par MARC LEPLONGEON