Article de Mathias Destal publié le 30/06/11 sur Libération.fr
Plus que quatre semaines avant que la loi portant réforme de la psychiatrie n’entre en vigueur. Quatre semaines pour que des psychiatres, réunis autour du Collectif des 39 contre la nuit sécuritaire, poursuivent leur contestation contre ce projet qu’ils jugent simpliste et démagogique.
Mais derrière les craintes manifestées par ces médecins se niche un autre bouleversement qui pourrait faire désordre. L’extension des missions du juge des libertés et de la détention (JLD).
Le texte de loi prévoit que les JLD soient systématiquement sollicités pour décider de la levée ou du prolongement de l’hospitalisation sous contrainte après quinze jours de prise en charge d’un patient, puis tous les six mois. Une question de principe soulignée par le Conseil constitutionnel le 10 juin, les Sages s’étant vu saisis d’une question prioritaire de constitutionnalité par une femme ayant été internée sans son consentement. Aujourd’hui, la levée de l’hospitalisation d’office doit être demandée par le patient et validée par le JLD. Faute d’information, ces demandes restent marginales.
Dans sa décision, le Conseil rappelait l’obligation de garantir le respect de la liberté des patients qui «ne peut être tenue pour sauvegardée que si le juge intervient dans le plus court délai possible». La décision s’accompagnait d’une autre précision de taille: le texte devait entrer en vigueur le 1er août. Sans discussion.
«Nous faisions face à un vrai problème d’inconstitutionnalité qu’il nous a fallu modifier le plus rapidement possible afin de pouvoir répondre aux échéances», souligne Jean-Louis Lorrain (UMP), rapporteur du texte au Sénat depuis que son prédécesseur, Muguette Dini, a rendu son tablier en mai dernier. Embarrassé, il avoue qu’il risque d’y avoir «un vrai problème de moyens qu’on devra ajuster à l’usage». Un patient peut déjà faire appel à un juge s’il conteste son hospitalisation mais il est rare qu’il fasse usage de ce droit qui risque d’entraîner une multiplication des contentieux.
Thierry Hanouet, premier vice-président du tribunal de Caen et JLD, estime que faire appel au magistrat dès quinze jours d’hospitalisation est «une avancée indiscutable pour les droits des patients» mais s’interroge sur la capacité de traiter la masse de demandes. Ils sont trois JLD pour un département concerné par quelque 700 personnes hospitalisées d’office. Parmi ces gens, 400 relèvent d’une hospitalisation de plus de 15 jours.
«Nous sommes saisis 35 fois par an pour statuer sur les dossiers de personnes enfermées. Selon nos calculs, ce chiffre devrait être multiplié par dix avec l’application de la nouvelle loi. C’est donc six à huit dossiers que nous aurons sur notre bureau par semaine, ce qui équivaut à un jour plein dédié à ces cas là et pas aux autres», pronostique-t-il.
Au tribunal de grande instance de Bordeaux, le juge Xavier Gadrat, pour sa part, voit passer une centaine de dossiers par an. Sur cette base, il prévoit lui aussi que son activité sera multipliée par dix. «En comptant le temps de l’écoute et l’examen de chaque cas, il faudra compter sur deux journées dédiées aux personnes contraintes alors qu’il n’est pas prévu qu’on renforce les équipes dans notre juridiction.» Trois JLD sont rattachés au TGI de Bordeaux.
Une étude d’impact rédigée par le ministère de la Justice en mai 2011 fait état du problème. Selon l’évaluation des besoins nouveaux entrainés par l’application du texte, l’étude indique qu’il faudrait créer 79 postes de JLD supplémentaires pour répondre aux dispositions du texte. Or rien que cette année, selon ce document, 76 magistrats partent à la retraite. Sans compter qu’il faut deux ans de formation avant que les futurs juges puissent exercer. Ce qui nous ramène à… 2013.
Du côté de la Chancellerie, on se veut rassurant. «Michel Mercier a annoncé que la mise en place de la mesure sera accompagnée de nouveaux moyens: 80 postes de magistrats et 60 poste de greffiers seront ainsi crées», assure un porte-parole du ministère. Mais après la fronde de l’hiver dernier, les magistrats restent sceptiques.
«On nous annonce du personnel supplémentaire mais, comme d’habitude, on n’a pas les moyens de nos ambitions », assure Clarisse Tanon, présidente du syndicat de la magistrature. Elle dit avoir vu récemment le garde des Sceaux pour une réunion de travail. «Il nous a avoué que l’application du texte allait créer une désorganisation monstrueuse».
Dans les tribunaux, on s’agite afin de se préparer au mieux à ce bouleversement. «Normalement, lorsque le patient est conduit devant le juge, il doit être escorté par des personnels médicaux mais les établissements de santé n’auront pas les moyens de mettre à disposition suffisamment d’infirmiers, on va devoir se déplacer à l’hôpital pour rencontrer les malades », s’inquiète Xavier Gadrat. Des salles d’audience pourraient donc être installées directement dans les unités de soin. Ce que préconisent la plupart des médecins des services psychiatriques.
Une autre solution consisterait en l’installation d’un système de visio-conférence entre le tribunal et l’hôpital. Son financement serait pris en charge par les ministères de la Justice et de la Santé. Xavier Gadrat s’étrangle. «Les médecins avec qui nous en avons discuté sont contre ce projet car il s’agit de personnes atteintes de troubles psychiatriques. Dans ces cas là, le contact humain est important, on ne va pas rajouter un délire à leur délire.» Cela semble tout de même moins délirant que l’utilisation du logiciel Skype. Un temps, la Chancellerie avait avancé l’idée d’utiliser cet outil de téléphonie via Internet, et donc passant par un réseau public, non fiable et non protégé, pour assurer les audiences. Avant d’y renoncer.