Article de Hélène David publié le 15.06.11 sur lemonde.fr
Opposée au projet de loi portant sur le jugement des mineurs, Catherine Sultan, présidente de l’Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille et présidente du tribunal pour enfants de Créteil, craint néanmoins que cette loi du « renoncement » soit « votée dans l’indifférence générale », alors qu’elle vise à « transformer complètement la justice des mineurs, qui est l’un des points de référence de notre démocratie ».
Quelles sont aujourd’hui les spécificités d’un juge pour enfant ?
Tel qu’il a été inventé en 1945, le juge pour enfants constitue la clé de voûte du système judiciaire des mineurs. C’est une pratique basée sur l’accompagnement et l’engagement autour des parcours individuels des enfants et adolescents. L’objectif est de construire, dans la durée, une réponse complexe adaptée à chaque mineur.
En quoi cette loi pourrait-elle bouleverser la nature de la justice des mineurs ?
C’est la disparition du juge pour enfants tel qu’on le connaît qui est la plus préoccupante. Ce texte propose une banalisation de la fonction. Elle pourrait être votée dans l’indifférence générale alors qu’elle va complètement transformer la justice des mineurs. Dorénavant, le juge pour enfants interviendra de la même manière que le juge des majeurs : ponctuellement, sans accompagnement. Le texte préconise la mise en place d’un tribunal correctionnel des mineurs au sein duquel le juge pour enfants sera en minorité [il siégera avec deux magistrats non spécialisés]. On nous demande d’intervenir sur un jeune qu’on ne connaîtra ni avant ni après. Finalement, ce texte ne garde du juge pour enfants que le titre.
En préconisant le placement en centre éducatif fermé ou l’assignation à résidence sous surveillance électronique dès treize ans, on renonce à une justice dédiée aux enfants ?
Globalement, cette réforme vise à rapprocher, voire à calquer complètement, le traitement des mineurs au pénal sur celui des majeurs. Il est rapproché du principe des comparutions immédiates, qui est pourtant l’un des aspects de la justice pénale des majeurs le plus sujet à critiques.
Pour les jeunes concernés, quelles seraient les conséquence d’une telle réforme ?
Cette réforme conduit à un désengagement. Paradoxalement, cette réforme propose une répression beaucoup plus forte, mais un projet global beaucoup plus laxiste. On répond tout de suite et vite, mais on va être beaucoup moins exigeant à l’égard des mineurs. Certains adolescents particulièrement difficiles et rétifs à l’intervention d’un juge y trouveront un certain confort : la justice sera peut-être plus sévère et plus brutale mais une fois qu’elle aura pris sa décision ce sera terminé et le travail d’accompagnement n’existera pas. C’est une justice qui renonce.