Rompre avec le « consensus sécuritaire » des années Sarkozy et abroger les peines planchers. C’était l’engagement de Christiane Taubira et la promesse n° 53 du candidat Hollande. Si une future loi devrait à terme enterrer définitivement ce dispositif, la garde des Sceaux doit d’ores et déjà présenter, mercredi 19 septembre, le contenu de sa « circulaire de politique pénale » demandant notamment aux parquets d’individualiser les peines.
« S’agissant des peines planchers, en l’état actuel du droit en cette matière, je vous demande de tenir le plus grand compte, dans vos réquisitions et vos choix de poursuites, de la situation personnelle, sociale et économique de chaque prévenu, qui permettent d’écarter ces peines automatiques », écrit-elle.
Mesure phare du quinquennat Sarkozy en matière pénale, la loi sur les peines planchers avait été vivement contestée en 2007 par les magistrats et l’opposition parlementaire qui dénonçaient pêle-mêle son manque d’efficacité, le carcan qu’elle imposait aux juges et la surpopulation carcérale qu’elle allait inévitablement engendrer. Entre la promulgation de la loi et le 31 décembre 2011, 37 000 peines planchers ont été prononcées, selon la Chancellerie.
L’absence d’évaluation précise
Pour se conformer aux exigences du Conseil constitutionnel et ne pas donner un caractère automatique aux décisions (un tiers de la sanction maximale encourue pour les crimes et délits passibles d’au moins trois ans d’emprisonnement), la loi du 10 août 2007 avait prévu que les juges puissent déroger à la peine minimale en motivant leur décision en fonction de la personnalité du suspect ou des circonstances du délit ou du crime.
Mais cinq ans après l’adoption de la loi, à l’exception d’un rapport parlementaire mené par Guy Geoffroy (UMP) et Christophe Carrèche (PS) en décembre 2008, aucune évaluation précise de l’efficacité de ce texte n’a été menée. Cette unique étude dressait un bilan mitigé du dispositif et relevait un taux moyen d’application des peines minimales proche de 50 %.
« C’est sans doute moins aujourd’hui, estime Christophe Régnard, le président de l’Union syndicale des magistrats, majoritaire, rappellant que Rachida Dati avait demandé aux procureurs de faire systématiquement appel lorsque la peine plancher n’avait pas été retenue par le juge. « Ses successeurs, dont Michèle Alliot-Marie, ont été touchés par le principe de réalité et la pression s’est progressivement relachée. » Le magistrat estime que ses confrères ont notamment usé de la possibilité de ne pas recourir à des peines de prison ferme au profit de sursis avec mise à l’épreuve.
« Cette proportion n’a pas évolué, d’après ce qui remonte des juridictions », juge pour sa part Guy Geoffroy, le rapporteur UMP de la loi à l’Assemblée, interrogé par Libération en avril 2012. Il considérait alors que cette loi était une « réussite » : « La récidive est plus sévèrement condamnée et les juges gardent leur liberté d’appréciation. »
La récidive en hausse
Marqueur politique fort, les peines planchers figurent au programme de Nicolas Sarkozy en 2007. Pour Pierre Victor Tournier, directeur de recherche au CNRS et spécialiste des questions pénales, cette loi votée rapidement après l’arrivée du candidat UMP à l’Elysée était « électoraliste ». « C’était un tigre de papier. Elle pouvait faire peur aux honnêtes gens, pas aux délinquants. » « C’est une loi dogmatique dont tout le monde savait dès le début qu’elle ne pourrait pas permettre de diminuer la délinquance, abonde Christophe Régnard. Ça n’a jamais marché ni dans l’histoire ni dans le monde. »
Cinq ans après la mise en œuvre de la loi, les chiffres ne plaident pas en sa faveur. Le taux de récidive est passé de 3,9 % en 2006 à 6 % en 2010 pour les crimes et de 7 % à 11,1 % pour les délits, relève la place Vendôme.
La population carcérale en hausse
Obstacle pointé dès le départ par les contempteurs de la loi, le dispositif a notamment participé à la hausse de la population carcérale. 88 058 ont été écrouées en 2011 contre 20 837 en 2001. Quant à la durée moyenne de détention, elle est passée de 8,1 mois en 1999 à 9,8 mois en 2011.
Pour Pierre-Victor Tournier, ces hausses s’expliquent à la fois par le recours aux peines planchers et par une application plus sévère des peines après l’affaire de Pornic début 2011 où une jeune femme de 18 ans avait été retrouvée morte après avoir été enlevée par un homme déjà condamné 13 fois, dont une pour viol sur un codétenu.