Article de Frédéric Lauféron, directeur général de l’Apcars – Paris, publié en juin 2011 sur mipes.org
Qui sont ces sortants de prison ?
– 20 000 franciliens connaissent la détention chaque année(1). Parmi eux, une majorité conjugue un ensemble de handicaps sociaux (pauvreté, précarité) et se retrouve très régulièrement écartée des dispositifs de droit commun.
En détention, on constate ces dernières années une évolution inquiétante de leur profil et de leur situation :
– des personnes de plus en plus fragiles, très éloignées du marché du travail ;
– un allongement des durées de détention ;
– un vieillissement de la population carcérale ;
– une forte proportion de personnes ayant des conduites addictives ;
– une augmentation des personnes présentant des troubles psychiatriques.
C’est un phénomène dénoncé notamment par l’Observatoire International des Prisons et Emmaüs : la prison renforce l’exclusion et au lieu de réinsérer les plus précarisés, elle achève de les marginaliser.
Une étude de la FNARS(2) a récemment souligné le fait que l’accompagnement social des publics justice ne présentait pas de spécificité particulière. Les besoins en matière éducative, sanitaire, d’hébergement et de logement, ceux relatifs à l’activité professionnelle semblent, en effet, universels.
Toutefois, les nombreuses mesures judiciaires telles que le placement à l’extérieur, les obligations (d’éloignement, de soin, etc.) ou bien encore le port d’un bracelet électronique, sont de nature à questionner un travailleur social non sensibilisé à leurs enjeux.
En outre, une association doit être en mesure de signaler aux autorités judiciaires un incident sérieux (violation d’une obligation) rencontré lors de la prise en charge de l’usager, un positionnement associatif qui n’est jamais simple à assumer puisqu’il peut aboutir à son retour en détention.
Le secteur associatif, partenaire ou palliatif des services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP) ?
Il existe une dizaine d’associations en Ile-de-France dédiées à l’accueil des sortants de prison, dont l’Apcars (Association de politique criminelle appliquée et de réinsertion sociale), mais la plupart des structures d’insertion sociale prennent en charge depuis toujours des usagers ayant un parcours carcéral, sans les identifier en tant que tels.
Un partenariat fort est traditionnellement établi entre les SPIP et ces associations spécialisées, notamment autour des préparations à la sortie. Toutefois, l’efficacité de cette étroite collaboration est souvent altérée par le sous-effectif de travailleurs sociaux en milieu fermé.
La direction interrégionale des services pénitentiaires (DISP) de Paris gère près de 12 000 détenus, un chiffre en augmentation de 8% en un an.
Là où le projet d’insertion devrait être initié en détention, il n’est souvent qu’esquissé par les conseillers d’insertion et de probation (CIP)(3), faute de temps et de moyens.
Selon l’étude d’impact accompagnant la dernière loi pénitentiaire, l’accroissement du nombre de personnes prises en charge et l’exigence d’un suivi plus attentif des dossiers -soit un ratio idéal de 60 dossiers par CIP – nécessiterait « la création de 1 000 postes de CIP alors que la loi de finance 2011 n’en prévoit qu’une centaine.
L’intervention des associations se voit, en conséquence, lourdement perturbée par les carences de l’administration pénitentiaire, le temps carcéral étant alors un temps perdu pour les détenus alors qu’il aurait dû être consacré en priorité à un projet d’insertion.
Enfin, il apparait que le travail en détention, quand il existe4 , est particulièrement sous rémunéré (seuil minimum de rémunération : 3,90€ bruts/heure(5)), ce qui ne permet pas aux prisonniers les plus démunis, ni de sortir de détention avec des ressources suffisantes, ni de construire un projet d’insertion par le travail. 30% des détenus vivent avec moins de 45 euros par mois(6).
Dans ces conditions, comment éviter la récidive à la sortie de prison ? Dehors, les associations tentent, une fois de plus, de pallier ce manque criant de moyens et d’activité en détention.
Quelles perspectives pour l’insertion de ces personnes ?
L’accélération des réformes sécuritaires(7) (peines planchers, remise en cause de l’ordonnance de 1945 pour les mineurs…) jusqu’aux conséquences du fait divers de Pornic amènent aujourd’hui les tribunaux à prononcer davantage de peines d’incarcération8 et les juges de l’application des peines à limiter le nombre de libérations conditionnelles.
Sur ce dernier point, il est bon de rappeler qu’elles constituent un moyen efficace de lutte contre la récidive et un outil d’insertion maintes fois prouvé.(9)
Du point de vue des finances publiques, les rares moyens supplémentaires confiés à la Justice vont exclusivement à la construction de nouvelles prisons (25 ont récemment été annoncées par le Garde des Sceaux).
Quant aux associations d’insertion dédiées aux sortants de prison, elles sont touchées de plein fouet par la refondation du secteur social, portée par Benoist Apparu, réforme qui privilégie l’accès au logement, au détriment des autres formes d’accompagnement social (10).
Dans ce contexte, force est de constater que l’insertion des sortants de prison s’apparentera de plus en plus à un chemin de croix, non seulement pour ces publics SDF mais également pour les professionnels qui les accompagnent.
1. La politique sociale régionale, rapport présenté par Jean-Paul Huchon pour le Conseil Régional, avril 2011.
2. Supplément à la gazette FNARS N°99, janvier 2011
3. Projet de loi de finances pour 2011
4. Seuls 25% des détenus y ont accès selon l’Observatoire International des Prisons.
5. « Prisons : condamnés à des boulots de misère », article de Mathieu Palain, Libération – 7 mai 2011.
6. « Le travail en prison. Enquête sur le business carcéral », Gonzague Rambaud, Ed. Autrement, 2010
7. « La frénésie sécuritaire », Laurent Mucchielli, Ed. La Découverte, 2008
8. « Juger », Serge Portelli, Ed. de l’atelier, 2011
9. Recommandation N°R (99) 22 du Conseil de l’Europe, adoptée par le Comité des Ministres le 30 septembre 1999 et rapport élaboré avec l’assistance d’André Kuhn, Pierre V. Tournier et Roy Walmsley, coll. Références juridiques, 2000
10. Une part substantielle des crédits de la DRIHL dédiés à l’hébergement sont actuellement réorientés au profit du financement des dispositifs d’accès au logement.