Quand Philippe répétait à la cuisine de la prison…

Les tatouages de ses avant-bras sont ses chaînes. Jean-Michel est Prométhée enchaîné, bloqué sur la falaise par la volonté de Zeus. Il prend la parole, au centre du gymnase, et sa voix claire telle une flèche transporte les mots d’Eschyle.

Huit ou neuf détenus lui donnent la réplique, d’autres sont sortis de leurs cellules en spectateurs. « Attaché pour des siècles, ignominieusement (…) Il faut vivre son sort avec le cœur léger », dit Jean-Michel. Dehors, au-dessus des têtes, le ciel est une immense toile d’araignée. Un entrelacs de câbles métalliques chapeaute le centre pénitentiaire du Pontet et ses 839 hommes « hébergés ». Le bâtiment est posé comme une soucoupe volante, à vingt minutes de bus d’Avignon. Les maisons environnantes sont « isolées » avec un faux gazon posé sur les grilles…

A l’intérieur, des semaines d’ateliers ont fini par fabriquer un groupe, un vrai. Jean-Michel Grémillet, qui préside l’association culturelle du Centre pénitentiaire, se réjouit. Après les applaudissements, Olivier Py rejoint les acteurs. A l’origine, le directeur du Festival d’Avignon avait animé un atelier de cinq jours, en février. « Il était tellement humain qu’on s’est dit : on y va ! » Puis le comédien Enzo Verdet a pris la relève, en avril, à raison de deux répétitions par semaine. « C’est grâce à eux que j’ai pu apprendre tout ce texte », sourit le personnage principal. Jean-Michel aimait déjà l’art, mais n’avait jamais joué dans une pièce. Les autres non plus.

Le soir, dans la cellule

« C’est grâce à elle si on est allés jusqu’au bout ! », précise Philippe, l’un des acteurs. Elle, c’est Lucie Maurillas, conseillère pénitentiaire d’insertion et de probation. La jeune femme les a encouragés à tenir bon. Qu’un détenu apprenne une mauvaise nouvelle, essuie un refus de permission, etc., et le ciel peut s’effondrer. Au diable Prométhée, ses phrases à réciter par cœur…

Justement, comment ont-ils fait ? L’un d’eux, malin, sort des antisèches… Au fil des jours, le texte a pris de plus en plus de place. « Le soir, dans la cellule, je continuais à dérouler… » Philippe travaille en cuisine, « aux plats chauds ». Il avait scotché ses passages à apprendre sur la vitre, à côté des casseroles. Et il répétait… Dans les couloirs, on a même entendu Eschyle ! « Quand on se croisait, on se donnait la réplique ! » Conclusion : « Avant, je voyais du théâtre à la télé, je zappais ! Ici, j’ai pris le temps de connaître… Aujourd’hui c’est fini, j’ai les boules. »

Clarisse Fabre

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