Quand les policiers refusent les plaintes

En 2012, Joël Guillon, le président de l’association Lesarnaques.com, bien connue des consommateurs estimant s’être fait flouer, reçoit des menaces : « On va te casser les rotules », lui promet un interlocuteur anonyme au téléphone – bien que son numéro soit sur liste rouge. Dans un courriel, un correspondant inconnu lui explique qu’il connaît son adresse et qu’il va lui rendre une petite visite.

 

Le forum des Arnaques contribue à faire arrêter les escrocs qui sévissent sur les sites de vente d’objets d’occasion, comme Leboncoin. Certains d’entre eux, ou leurs complices, ont donc des raisons d’en vouloir à son principal animateur. M. Guillon se rend au commissariat de sa ville. Mais les policiers refusent d’enregistrer sa plainte.

 

Il ne s’agit pas, hélas ! d’un cas isolé. Le Défenseur des droits, Dominique Baudis, a été saisi à ce sujet 77 fois depuis 2006, et 46 fois rien qu’en 2013. Bien que les policiers aient l’obligation d’enregistrer une plainte en vertu de l’article 15-3 du code de procédure pénale et de la Charte de l’accueil du public et de l’assistance aux victimes, ils incitent souvent les plaignants à ne déposer qu’une main courante – ce qui s’est passé pour M. Guillon.

 

Les mains courantes, rappelons-le, ne sont pas consignées dans l’« état 4001 », le fichier du ministère de l’intérieur comptabilisant les crimes et les délits. Le fait de « shooter une plainte » liée à un fait qui relèverait du délit, comme un coup sur une femme enceinte, un vol ou une tentative de cambriolage, permet de diminuer les chiffres officiels de la délinquance.

 

La main courante n’est suivie d’aucune investigation. Elle n’implique pas que la justice soit informée, à la différence de la plainte, qui est transmise au procureur de la République. Le refus de plainte ne se justifie que si les faits dénoncés ne peuvent être qualifiés pénalement. Or, le Défenseur des droits constate que ce n’est pas toujours le cas.

 

« ALLEZ HOP ! EN GARDE À VUE ! »

 

En témoigne l’exemple de Mme B., dont la voiture est saccagée par des casseurs, à l’occasion de manifestations lycéennes, en octobre 2010, à Nanterre. Le lundi matin, elle mesure l’ampleur du désastre : vitres brisées, portières enfoncées, phares arrière fondus… Catastrophée, elle appelle son assureur, qui lui indique la marche à suivre : appeler un service d’assistance, qui remorquera le véhicule jusqu’au garage ; se rendre au commissariat pour porter plainte, lui envoyer le procès-verbal, qui permettra la prise en charge des réparations

 

En début d’après-midi, Mme B. se présente au commissariat de Nanterre. L’agent chargé d’accueillir les victimes exige de voir le véhicule avant d’enregistrer sa plainte.

 

Cette demande est abusive, car les victimes ne sont pas tenues d’apporter la preuve d’une infraction. Mme B., qui ne le sait pas, lui répond seulement que ce n’est pas possible, la voiture se trouvant au garage. Son fils, qui l’accompagne, montre des photographies prises à l’aide de son téléphone portable. L’agent maintient son refus.

 

Mme B. panique : l’enregistrement de la plainte est nécessaire pour faire prendre en charge les réparations. Elle désigne la Charte de l’accueil du public et de l’assistance aux victimes, punaisée au mur, qui énonce que les services de la police nationale sont tenus de recevoir les plaintes. Peine perdue. Son fils dit alors tout haut qu’elle ferait mieux de s’adresser à un gradé. L’agent, vexé, lui fait observer que le jeune homme est mal élevé. Elle explose : « Vous n’êtes qu’un bouffon ! » Elle se met à hurler qu’elle « veut un gradé ».

 

Trois policiers sortent d’un bureau et lui proposent courtoisement de les suivre. Ce qu’elle fait, pensant enfin obtenir gain de cause. Mais, la porte refermée, les policiers annoncent : « Allez hop ! En garde à vue ! » Il s’ensuit une lutte au terme de laquelle Mme B. est menottée à un banc. Le policier de l’accueil porte plainte contre elle pour « outrage ». Après avoir fait un compte rendu de l’affaire au magistrat de permanence du parquet, il notifie à Mme B. un rappel à la loi.

 

PAS DE CERTIFICAT MÉDICAL POUR PORTER PLAINTE

 

Pendant ce temps, le fils de cette dernière est allé au garage récupérer le véhicule et l’a conduit, non sans difficulté, devant le commissariat. Les policiers qui voient arriver l’épave lui reprochent alors de l’avoir amenée – un comble. L’agent de l’accueil accepte enfin d’enregistrer une plainte pour «dégradation volontaire de véhicule» et « vol » à l’intérieur de celui-ci.

 

Le Défenseur des droits rappelle qu’il n’est pas non plus nécessaire d’avoir un certificat médical pour porter plainte : c’est à tort qu’une gardienne de la paix a refoulé un jeune homme venu sans ce document, qui disait avoir été battu par un vigile dans un magasin de sport, pour avoir refusé de laisser son sac à dos à l’entrée.

 

Le Défenseur des droits constate qu’il existe des situations « à risque » pour les plaignants, comme « les violences conjugales, les contextes de séparation des conjoints , les plaintes à l’encontre des forces de l’ordre, les plaintes de personnes en situation irrégulière, les conflits de voisinage ou les litiges privés ».

 

Sur notre blog « Sosconso », une internaute s’est dite « ravie » d’apprendre qu’on peut déposer plainte n’importe où : « J’ai été agressée à un feu rouge. Le commissariat où je suis allée m’a dit que je devais retourner près du lieu de mon agression, malgré l’état de choc dans lequel je me trouvais et ma voiture aux vitres brisées. » Elle ajoute qu’elle a failli «ne jamais y parvenir».

 

Blog de Rafaële Rivais

source : LeMonde.fr
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