Quand le ministre de l’intérieur empiète sur les prérogatives du ministre de la justice

Article paru sur LeMonde.fr le 17 septembre 2010


Après le limogeage de David Sénat, l’ancien conseiller pénal de la garde des sceaux, soupçonné d’avoir divulgué des informations à la presse, Brice Hortefeux propose, dans un entretien au Figaro Magazine, plusieurs réformes judiciaires et s’en prend aux magistrats.


Le ministre de l’intérieur prend l’exemple de certains faits-divers, notamment le récent meurtre dans le Nord d’une femme, Natacha Mougel, par un homme condamné pour viol qui avait bénéficié d’une libération conditionnelle, pour sermonner les juges. « Les magistrats ne disent pas uniquement le droit. Ils remplissent aussi une fonction sociale indispensable à l’équilibre de notre société », dit-il. Il y a selon lui un « décalage entre la souffrance des victimes et la réponse pénale apportée par une minorité de magistrats » et il faut donc, à ses yeux, changer complètement le système.


« Puisque c’est un juré populaire qui décide aux assises de condamner quelqu’un à la réclusion criminelle, je crois que le choix de le libérer avant qu’il ait purgé l’intégralité de sa peine doit aussi être fait par le peuple lui-même », dit-il.


Il se prononce aussi pour l’abrogation de la disposition permettant d’aménager, en semi-liberté ou placement sous bracelet électronique, toute peine inférieure ou égale à deux ans de prison ferme. Elle a été adoptée en 2009, à l’initiative de la ministre de la justice, Michèle Alliot-Marie, dans une loi censée répondre à la crise du système pénitentiaire français, gravement surpeuplé et sujet à un nombre record de suicides.


« Avoir quasiment l’assurance de ne pas effectuer sa peine de prison, quand on est condamné à moins de deux ans, est un dispositif parfaitement inadmissible pour les citoyens et totalement incompréhensible pour les policiers et les gendarmes », dit le ministre de l’intérieur. Les aménagements de peine sont censés éviter l’incarcération pour les délits les moins graves et éviter un engorgement encore plus dramatique des maisons d’arrêt. « Comment les Français peuvent-ils admettre qu’ils soient sanctionnés dès qu’ils dépassent de deux kilomètres heure la limite de vitesse autorisée, tandis qu’un délinquant condamné, lui, à dix-huit mois de prison pour vol avec violences, cambriolage ou trafic de stupéfiants, ne passera pas un seul jour en prison ? On marche sur la tête », dit Brice Hortefeux. Il propose donc que les aménagements de peines de prison ferme ne soient possibles que pour les peines les plus courtes, jusqu’à un an, soit un retour à la situation antérieure.


Le ministre propose par ailleurs de faire passer la majorité pénale — l’âge auquel on est traité comme un adulte par les tribunaux — de 18 à 16 ans, et se reprend l’idée de Nicolas Sarkozy de l’introduction de jurés dans les tribunaux correctionnels. Il se dit aussi favorable à la « rétention de sûreté », donc la détention illimitée, après l’exécution de la peine de prison de tous les criminels condamnés à plus de dix ans de réclusion et non plus seulement de quinze ans. Il propose enfin de « réfléchir » à l’élection des juges d’application des peines ou des présidents de tribunaux correctionnels.


L’Union syndicale des magistrats (USM, majoritaire) se dit consternée. « C’est tellement affligeant qu’on ne peut traiter ces déclarations que par le mépris », a dit son président, Christophe Régnard.

Il demande toutefois à la ministre de la justice d’intervenir pour rétablir la vérité sur les magistrats.

source : LeMonde.fr
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