DES PISTES CONTRE LA RÉCIDIVE (3/4) «Libération» décrypte cette semaine quatre propositions qui seront sur la table jeudi lors de la «Conférence de consensus». Aujourd’hui, la peine de probation.
Par SONYA FAURE
Et si on abolissait les peines de prison de quelques mois? Si on encourageait délinquants et victimes à se parler? Si on inventait une nouvelle sanction, destinée à devenir la peine de référence à la place de l’incarcération? A la demande de la ministre de la Justice, Christiane Taubira, des spécialistes planchent depuis septembre sur les moyens d’amener les délinquants à changer de voie – un brainstorming pompeusement appelé «Conférence de consensus sur la prévention de la récidive».
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Jeudi et vendredi, ces travaux seront présentées et un jury y piochera des orientations que la garde des Sceaux s’est engagé à suivre. Chaque jour jusqu’à jeudi, Libération présente une de ces idées novatrices. Aujourd’hui, la peine de probation.
La peine de probation, qu’est-ce que c’est?
Plusieurs magistrats et chercheurs souhaitent la création d’une «peine de probation» ou «contrainte pénale communautaire» qui aurait vocation à devenir la principale alternative à la prison. Le condamné serait contraint de suivre une évaluation et un contrôle réguliers et bénéficierait d’un suivi individualisé: traitement thérapeutique, stage de citoyenneté, placement sous bracelet électronique, travail d’intérêt général, réparation… en dehors des murs de la prison, «dans la communauté». En se substituant à une multitude de mesures, éparpillées, qui existent déjà dans l’arsenal français, la probation pourrait représenter au moins la moitié des condamnations prononcées pour sanctionner les délits…
Elle pourrait même être la seule réponse aux délits, si on en croit le syndicat de conseillers d’insertion et de probation Snepap FSU, qui cantonnerait la prison aux seuls délits en récidives et aux crimes. Aujourd’hui en France, l’une des mesures probatoires la plus courante est le sursis avec mise à l’épreuve (SME). Le condamné doit, durant un temps donné, se soumettre à des mesures de contrôle (travailler, vivre dans un autre ville que sa victime, suivre un traitement médical, etc.). S’il ne les respecte pas, le juge révoque son sursis et le condamné purge tout ou partie de sa peine de prison. «En réalité le sursis avec mise à l’épreuve tend à se résumer au contrôle de quelques obligations: on vérifie que la personne ramène bien ses justificatifs de recherche d’emploi, mais aucun travail n’est mené sur les causes de son passage à l’acte», estime Jean-Claude Bouvier, vice-président chargé de l’application des peines au tribunal de Créteil et coauteur d’un appel pour l’instauration d’une peine de probation lancé en juin dans Libération. La peine de probation, elle, ne serait pas attachée à une peine de prison en forme d’épée de Damoclès. «C’est un grand enjeu culturel: se donner les moyens de parvenir à ce que la prison ne soit plus la peine de référence, explique le directeur de recherche au CNRS, Pierre-Victor Tournier, qui milite depuis des années pour ce qu’il a appelé la contrainte pénale communautaire.
Où se pratique-t-elle déjà?
Au Québec, «l’ordonnance de probation avec surveillance» peut durer trois ans, durant lesquels le condamné doit répondre à certaines obligations, dont des «heures de service communautaire». Le système probationnaire québecois s’est développé dans les années 70, insistant sur l’importance de n’utiliser l’emprisonnement que comme solution ultime (notamment en raison de son coût financier exorbitant), et d’impliquer la collectivité dans la réinsertion des détenus.
Est-ce que ça marche?
Extrapolons les rares enquêtes comparant les taux de récidive après la prison à ceux des peines non carcérales. Selon une étude publiée en 2005 et menée dans le Nord de la France par Pierre-Victor Tournier, directeur de recherche au CNRS, les délinquants sortants de prison sont plus souvent condamnés à nouveau dans les six ans après leur sortie de prison que les personnes sanctionnées par une peine hors de la prison: 72% des sortants de prison sont recondamnés contre 68% en sursis avec mise à l’épreuve ou 65% en sursis simple (1). «Mais la comparaison reste en défaveur de la prison, écrit Pierre Victor Tournier (2). Au premier examen, les effets des alternatives à la détention sont déjà loin d’être négatifs, malgré la faiblesse des moyens matériels et en personnels dont disposent les service pénitentiaires d’insertion et de probation.»
Autre avantage de la probation: simplifier les sanctions. «En matière correctionnelle, dans 52% des cas, la peine prononcée est une peine d’emprisonnement, rapporte Pierre-Victor Tournier. Mais dans deux tiers des cas, elle est assortie d’un sursis total [le condamné n’est donc pas envoyé en prison, ndlr]. En réalité ce sont donc 20% des peines prononcées qui comportent au moins une partie ferme: notre système est illisible.» En distinguant plus simplement deux grands types de sanctions, d’un côté l’emprisonnement, de l’autre la peine de probation, le système donnerait une plus grande clarté aux décisions de justice – et donc un sens plus clair à la sanction pour les condamnés comme pour les victimes.
(1) L’auteur a gommé au maximum un biais statistique en calculant des «taux comparatifs»: les condamnés à de la prison ferme sont peut-être considérés comme ayant plus de risques de récidiver que les condamnés à des sanctions en milieu ouvert.
(2) La Prison, Ed Buchet Chastel