Article de Alain Salles, publié sur Le Monde .fr le 20 novembre 2009
L’Europe met la pression sur la réforme de la procédure pénale française. Les conseils des juges et procureurs des 47 pays du Conseil de l’Europe rendent public, vendredi 20 novembre, à Ljubljana en Slovénie, un avis commun insistant sur l’indépendance des procureurs : « Les procureurs doivent être indépendants et autonomes dans leurs prises de décision et doivent exercer leurs fonctions de manière équitable, objective et impartiale. »
Cette déclaration, intitulée « Juges et procureurs dans une société démocratique », intervient en plein débat français sur les modalités de la réforme de la procédure pénale, qui sera dévoilée début 2010.
Le projet de la chancellerie prévoit de supprimer le juge d’instruction et de confier l’ensemble des enquêtes au parquet sans modifier son statut. Actuellement, les procureurs sont soumis hiérarchiquement au ministère de la justice, qui décide de leur nomination et de leur révocation.
Les juges et procureurs européens précisent les modalités de cette indépendance. « Le statut des procureurs doit être garanti par la loi, au plus haut niveau, à l’instar de celui des juges. (…) Ils ne doivent pas être soumis dans l’exercice de leurs fonctions à des influences ou à des pressions de toute origine extérieure au ministère public. »
« JURISPRUDENCE CONSTANTE »
Le texte insiste sur les garanties statutaires à accorder aux procureurs. « Leur recrutement, leur carrière, leur sécurité de fonction, y compris le déplacement de fonction qui ne peut être effectué que conformément à la loi ou soumis à leur consentement, ainsi que leur rémunération doivent être protégés par la loi », expliquent les magistrats européens. Le gouvernement français n’a pas hésité à déplacer d’office des procureurs généraux, contre leur volonté.
Juges et procureurs se réfèrent à « la jurisprudence constante » de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), qui affirme « l’exigence d’indépendance vis-à-vis de l’exécutif et des parties pour tout magistrat exerçant des fonctions judiciaires ».
Cette déclaration commune de ces deux conseils consultatifs a été demandée par le comité des ministres du Conseil de l’Europe, bien avant le débat sur la réforme de la procédure pénale française. Elle s’inscrit dans une volonté de définir les grands principes de fonctionnement dans l’ensemble du Conseil de l’Europe, où se côtoient des régimes judiciaires très différents, du Royaume-Uni à la Russie.
Certains procureurs sont indépendants, comme en Italie, d’autres sont assimilés à des fonctionnaires, comme en Allemagne. « C’est un signal en faveur de l’unité judiciaire et d’une judiciarisation de la fonction de procureur », explique le Français Olivier de Baynast, président de la Conférence des procureurs européens.
Il s’agit d’un avis consultatif qui s’ajoute à une résolution du 30 septembre de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe qui indique que « les procureurs doivent pouvoir exercer leurs fonctions indépendamment de toute ingérence politique ». Dans cette résolution, l’Assemblée invitait la France à « revoir le projet de suppression du juge d’instruction ».
La France attend la décision en appel de la CEDH, qui a jugé en juillet 2008 dans l’arrêt Medvedyev que le procureur français n’était pas une « autorité judiciaire », en raison de sa dépendance au pouvoir exécutif. La CEDH devrait rendre sa décision début 2010.