La protection des surveillants doit-elle primer sur les droits des détenus ? Après deux semaines de crise, l’accent mis par le gouvernement sur la sécurité des agents est critiquée comme une mauvaise réponse au vieux mal des prisons, la surpopulation.
Quelles doivent être les priorités ? Pour mettre fin au plus important mouvement de surveillants depuis un quart de siècle, le gouvernement n’a pas hésité longtemps à proposer une batterie de mesures sécuritaires.
Après des agressions de gardiens par des détenus violents et/ou radicalisés, notamment à Borgo (Haute-Corse) où deux surveillants ont reçu respectivement 14 et 20 coups de couteau, il s’agissait d’abord de répondre à la colère en promettant l’isolement de détenus terroristes islamistes dans des quartiers étanches (avec un objectif à terme de 1.500 places) et, dès à présent, un équipement « amélioré » pour les agents.
Parmi ces nouvelles mesures, des dotations de gilets pare-balles, d’alarmes portatives ou l’installation de passe-menottes – fenêtre percée dans la porte de la cellule permettant d’entraver un détenu avant qu’il ne sorte – dans tous les quartiers sensibles.
« Ca n’empêchera pas toutes les violences, mais c’est un début », a estimé Jean-François Forget, secrétaire général de l’Ufap-Unsa, syndicat majoritaire chez les surveillants et seul signataire des propositions gouvernementales.
Deuxième syndicat, FO-Pénitentiaire voulait aller encore plus loin, réclamant d' »armer les agents de taser » – des pistolets à impulsion électrique.
Pour l’Observatoire international des prisons (OIP), une association de défense des droits des détenus, « l’illusion sécuritaire l’emporte ».
L’ONG voit dans « la multiplication par dix » du nombre de places prévues pour détenus violents ou dans l’installation de passe-menottes un dispositif ressemblant « dangereusement au retour des Quartiers de haute sécurité (QHS) » fermés en 1982 par l’ancien garde des Sceaux Robert Badinter qui dénonçait leur « régime inhumain ».
« Pas des bêtes »
Au delà de détenus aux « profils particuliers » auxquels s’adresseraient en premier lieu de telles mesures, le Syndicat des avocats de France (SAF, à gauche) met en garde contre une dérive sécuritaire bien plus large, avec notamment le projet de réforme de l’article 57 de la loi pénitentiaire pour autoriser des fouilles inopinées au retour de parloirs. Le SAF, comme l’OIP, craint « le retour des fouilles à nu », pratique pourtant condamnée par la Cour européenne des droits de l’Homme.
« Nous ne sommes pas des bêtes », ont clamé des détenus de Fleury-Mérogis (Essonne) il y a quelques jours, faisant parvenir un texte au site collaboratif « StreetVox » pour dénoncer, « derrière la grève des matons », une « entreprise de terreur » à l’encontre de prisonniers non seulement privés de leur liberté mais aussi de leur droit « à la dignité ».
Ce collectif, qui se résout à la punition mais pas à « la violence quotidienne », décrit le sentiment des détenus d’avoir été « pris en otage » pendant le dernier conflit social.
Pour l’ancien Contrôleur général des lieux de privation de liberté – une autorité indépendante -, Jean-Marie Delarue, multiplier les mesures de contrainte ne renforcera pas la sécurité: il faut au contraire « renforcer un lien de confiance » au sein de la détention.
Mais comment faire quand les prisons sont surpeuplées, avec un taux d’occupation moyen de 120 %, bien au-dessus des moyennes de nos voisins suédois ou hollandais (85 %) selon les données d’Eurostat ?
« La prison doit être le dernier recours », martèle l’actuel Contrôleur des prisons, Adeline Hazan. Elle relève qu’un tiers des quelque 70.000 détenus écroués en France sont « présumés innocents » et préconise avant tout de « cesser d’incarcérer » les personnes atteintes de troubles mentaux ou celles condamnées à de très courtes peines.
« C’est précisément l’objectif de la réforme pénale du printemps », fait-on valoir à la chancellerie. La garde des Sceaux Nicole Belloubet maintient un double objectif pour désengorger les maisons d’arrêt: à la fois la construction de 15.000 places de prisons supplémentaires et aussi le développement de peines alternatives à la détention.
Mais pour le SAF, « sans changement +culturel+ de la pratique des tribunaux, la situation carcérale en France restera dans l’impasse », tant est ancré le « choix des magistrats de privilégier l’incarcération, même avant jugement ».
31/01/2018 15:48:51 – Paris (AFP) – © 2018 AFP
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