Prison et permissions de sortir : l’insoluble problème des détenus radicalisés

Christiane Taubira n’exclut pas un durcissement de la loi depuis qu’un policier a été grièvement blessé lundi par un braqueur en cavale.

Comment un jeune homme de 24 ans avec un casier judiciaire long comme le bras, un passé de braqueur et un profil radicalisé, a-t-il pu bénéficier d’une permission de sortir de prison ? Mardi 6 octobre, la ministre de la Justice Christiane Taubira a annoncé avoir commandé un « rapport précis sur ce qui s’est passé à propos de la recherche de ce détenu ». Évadé le 27 mai 2015 à l’occasion d’une permission de sortir, Wilston Blam n’aura refait parler de lui que lundi matin, lors d’un braquage qui a mal tourné et qui lui a coûté la vie. Un des officiers de police qui le pourchassaient a également été blessé de plusieurs balles. Son pronostic vital est engagé. « Les braqueurs radicalisés sont de potentiels tueurs islamistes. Il faut désormais que nous en ayons tous conscience. Les policiers comme les magistrats », lance gravement Jean-Luc Taltavull, secrétaire général adjoint du Syndicat des commissaires de la police nationale (SCPN).

Devant la bronca et la colère des policiers, Christiane Taubira a dû agir, promettant qu’elle examinerait, après retour des investigations, s’il y a lieu ou pas de « modifier la législation applicable aux sorties des détenus ». Particulièrement lorsque ceux-ci présentent un profil inquiétant, voire dangereux. En 2013, 55 302 personnes ont bénéficié d’une permission de sortir. L’administration pénitentiaire recense à cette occasion 295 cas d’évasion, c’est-à-dire de détenus n’ayant pas regagné leur cellule à l’issue du délai qui leur avait été accordé. Sur ces 295 personnes, 249 ont fait l’objet d’une « réintégration contrainte ». Comprendre : les forces de l’ordre les ont recherchées et ramenées par la peau du cou en prison. Selon des chiffres donnés par RTL, 236 détenus auraient essayé de se faire la malle lors d’une permission de sortir depuis le début de l’année 2015. Un chiffre constant, donc, qui dément les accusations de « laxisme » portées à l’encontre de Christiane Taubira Place Vendôme.

« Cela signifie que dans 99,5 % des cas, cela se passe très bien. C’est une mesure qui a fait ses preuves », renchérit Véronique Léger, de l’Union syndicale des magistrats (USM). La juriste ajoute : « Le détenu est assez rarement à l’origine d’une permission de sortir. Elle fait partie d’un projet global, mené par les services pénitentiaires d’insertion et de probation (Spip), qui vise à la réintégration sociale du prisonnier. Le Spip va travailler avec le condamné pour qu’il puisse décrocher un entretien d’embauche, passer un examen, trouver un logement, faire des démarches administratives. C’est à cela que sert une permission de sortie. Comme la peine prend fin à un moment donné, il faut préparer la sortie du détenu pour qu’il ne soit pas tenté de repasser à l’acte. »

« Ne pas traiter ces gens-là comme les autres »

Mais quid des 0,5 % restant ? Des détenus particulièrement dangereux ? Ceux qui, de par leur profil, comme Wilston Blam, font craindre une récidive ou, pire, un acte terroriste ? Les policiers concentrent ici leurs principaux reproches et affirment que certains magistrats sont « hors sol », « complètement déconnectés de la réalité qui est la nôtre depuis Charlie Hebdo ». « On est face à un problème culturel. On ne doit tout simplement pas traiter ces gens-là comme les autres. Ce n’est pas un fait divers qui s’est produit lundi. C’est un fait de plus qui montre que les temps ont changé », tonne l’ex-commissaire de Creil, Jean-Luc Taltavull. Le flic ajoute : « Les juges d’application des peines (JAP) octroient des permissions de sortir à des individus malgré l’avis défavorable de l’administration pénitentiaire. »

C’est effectivement le JAP qui, après avoir reçu les avis des Spip, de l’administration pénitentiaire et du parquet, prend seul la décision d’accorder ou non une permission de sortir. « Il y a un certain nombre de garde-fous, se défend l’un d’entre eux. Les Spip réclament des justificatifs. Ils vont vérifier que le détenu ne va pas se retrouver dans la nature. S’il y a besoin, le JAP peut également procéder par voie de commission rogatoire et peut faire entendre une personne pour vérifier, par exemple, qu’elle s’engage bien à héberger le condamné. Une fois qu’on a tous ces éléments, le dossier du détenu peut être examiné en commission d’application des peines (CAP). Il n’est pas lâché dans la nature comme ça. »

Le problème de la radicalisation

Reste le cas de ces détenus qui se sont radicalisés ou rapprochés de la mouvance islamiste en prison, comme ce fut le cas pour Wilston Blam. « On a très peu d’informations à partir du moment où les gens n’ont pas été condamnés précédemment pour terrorisme ou apologie, confie un JAP sous le couvert de l’anonymat. Par définition, si la DGSI décide de mettre quelqu’un sous surveillance parce qu’elle le suspecte de s’être radicalisé, on ne le saura pas. C’est toute la distinction entre les écoutes judiciaires et administratives. L’administration pénitentiaire nous fait bien remonter des renseignements, mais ils ne sont souvent pas assez précis et trop subjectifs. Dans un État de droit, on ne peut refuser une permission de sortir sous prétexte que telle personne fait subitement cinq prières par jour, qu’elle refuse de serrer la main aux femmes, qu’elle fréquente tel suspect, ou qu’elle s’est laissé pousser la barbe. » Un argument qui provoque la colère de Jean-Luc Taltavull : « Ces éléments, remontés par des officiers de détention, devraient suffire pour interdire toute permission de sortir : ce sont des signes extérieurs de radicalisation. »

Mardi, Marine Le Pen, la présidente du FN, a demandé que soit « votée en urgence l’interdiction de tout aménagement de peine (…) aux individus fichés S en période Vigipirate ». Une solution drastique et peu pragmatique. D’abord parce que la fiche « S », édictée par les services spécialisés comme la DGSI, ne prouve rien : elle est justement créée pour attirer l’attention des autorités sur un homme jugé potentiellement dangereux après, par exemple, le signalement d’un proche ou un comportement suspect. Ensuite, parce que les détenus qui se sont radicalisés en prison ne font généralement pas l’objet d’une fiche « S », réservée aux suspects en liberté. Wilston Glam a ainsi été fiché après son évasion. Il ne l’était pas lorsqu’il était en cellule.

Pour remédier à cette situation dramatique, les hypothèses sont nombreuses. Certains suggèrent de systématiser l’usage de la fiche S en prison pour que les JAP puissent statuer en toute connaissance de cause. Le syndicat des commissaires de la police nationale (SCPN) réclame quant à lui qu’une consultation par le JAP du fichier des personnes recherchées (FPR) soit réalisée avant chaque sortie de détenu. Enfin, les forces de l’ordre suggèrent que les juges consultent systématiquement Cassiopée, le logiciel du ministère de la Justice, pour s’assurer qu’aucune nouvelle information judiciaire n’a été ouverte concernant le détenu. « Impossible ! » rétorque un magistrat, qui renvoie au manque latent de moyens de l’institution judiciaire. « En maison d’arrêt, il y a une seule commission d’application des peines par semaine, dit-il. On examine environ cent dossiers. On ne peut pas consacrer trop de temps à chacun. Il faut faire une distinction entre celui qui a été condamné pour un délit lié à l’alcoolisme, et un autre dont le profil est particulièrement inquiétant. Il faut savoir raison garder. »

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