Pourquoi la justice est-elle mise sur écoute?

Les procès d’assises devront prochainement être enregistrés. La circulaire de la Chancellerie organisant ces captations sonores a été diffusée aux procureurs mercredi. Elle rentrera en vigueur le 1er octobre… en théorie, car rares sont les palais de justice qui sont suffisamment équipés. A terme, toutes les audiences seront mises sur écoute et le fichier numérique contenant ces enregistrements placé sous scellés et déposé dans un lieu sécurisé.

Simple détail technique ? Loin de là : ces trois petites lignes apparues dans le code de procédure pénale sont le signe d’un changement fondamental du statut du procès d’assises. Explications.

A l’origine, il y a une mission parlementaire d’information consacrée aux révisions des condamnations pénales. Les procédures de révision permettent, des années après les faits et alors que tous les recours ont été épuisés de rejouer un procès lorsque de nouveaux éléments sont apparus, jetant un sérieux doute sur la culpabilité d’une personne condamnée. Les révisions de condamnations sont rarissimes. Depuis 1945, la justice a révisé neuf condamnations définitives, dont Roland Agret, Patrick Dils, Loïc Sécher ou Marc Machin.

Une loi a donc été votée le 20 juin qui revoit cette longue et trop complexe procédure visant à réparer les erreurs judiciaires. Elle prévoit notamment la captation sonore des procès d’assises, qui permettra en cas de procédure de révision d’avoir des traces de l’audience. Grâce à cet enregistrement, on déterminera à l’avenir plus sûrement si un élément nouveau a bien été apporté depuis, ou si les nouvelles informations avancées par les condamnés avaient déjà été discutées à l’époque.

EN FINIR AVEC L’ORALITÉ

Jusqu’à présent, l’article 308 du code de procédure pénale prévoit que «l’emploi de tout appareil d’enregistrement ou de diffusion sonore, de caméra de télévision ou de cinéma, d’appareils photographiques est interdit sous peine de 18 000 euros d’amende». Un président peut toutefois ordonner que les débats fassent l’objet d’un enregistrement sonore – notamment dans le cas de dossier à rebondissements… C’est ce qui s’était fait lors du procès de Maurice Agnelet : «Lors du premier procès de mon client à Nice, en 2006, j’ai demandé au président d’enregistrer le procès, ce qu’il a accepté, se souvient l’avocat François Saint-Pierre. La cour d’assises n’étant pas équipée, il a fallu faire venir un type de la police scientifique avec un enregistreur… Lors du troisième procès Agnelet à Rennes, cette année, le président a de lui-même ordonné la captation sonore.»

Le nouvel article 308 du code de procédure pénal mentionne que les débats de la cour d’assises feront désormais systématiquement l’objet d’un enregistrement sonore. La circulaire diffusée mercredi précise, dans une formule un peu curieuse : «L’objet de cet enregistrement n’est pas de renforcer l’exercice des droits de la défense au cours du procès d’assises.» Dans l’esprit de la direction des affaires criminelles et des grâces, le service de la Chancellerie qui rédige les circulaires pénales, cela signifie qu’un avocat ne pourra pas en plein procès demander à écouter les bandes-son des jours précédents pour confondre un témoin. Pour le législateur, l’enregistrement des débats est un outil pour faciliter les procédures de révision et la réparation d’erreurs judiciaires.

Mais la portée de ce texte va beaucoup plus loin. «La cour d’assise française repose sur le principe de l’oralité des débats. C’est toute cette tradition qui s’achève aujourd’hui», analyse François Saint-Pierre… avec jubilation. L’avocat a écrit un livre très critique envers le système de jury populaire et d’oralité des débats (1) : lors d’un procès d’assises, contrairement à une audience correctionnelle, ni les jurés, ni les assesseurs (les deux magistrats professionnels qui entourent le président) n’ont accès au dossier écrit de l’affaire. Sur son procès-verbal, le greffier note que «tel témoin a été introduit», que «tel autre a déposé à telle heure», mais il ne consigne pas le contenu des dépositions. Sauf quand le président lui demande de noter expressément une information qui représente un fait nouveau ou un revirement. «L’oralité des débats allait de pair avec le dogme de l’infaillibilité de la justice populaire, rappelle François Saint-Pierre. Le verdict était irrévocable : jusqu’à la loi du 15 juin 2000, il n’y avait pas possibilité de faire appel d’un procès d’assises. Mais ce qui s’expliquait au XIXe siècle, n’est plus tenable aujourd’hui où nous nous dirigeons vers une justice plus cartésienne.»

«LE DÉBUT DE LA FIN DES ASSISES D’AVANT»

L’évolution ne date pas de la circulaire de mercredi. La loi du 15 juin 2000 sur la présomption d’innocence a permis aux accusés de faire appel du verdict. En 2002, ce droit a été étendu aux représentants du ministère public. Depuis 2012, les cours d’assises doivent motiver leur verdict – auparavant, l’intime conviction n’avait pas à se justifier.

Beaucoup de présidents de cour d’assises regretteront cette évolution. «L’oralité des débats c’est tout ce qui faisait la richesse de la cour d’assises… mais aussi toute sa complexité, dit un magistrat. C’est le début de la fin des assises d’avant. Mais il est vrai que cette justice avait parfois des airs d’un autre temps: l’interdiction, pour les médias, de filmer les audiences qui sont pourtant publiques tient de l’hypocrisie. Mais à terme, ne va-t-on pas arriver à la fin des jurés populaires ?»

Pour l’heure, il faudrait déjà arriver à équiper les cours d’assises… «Avocats, procureur, juges… Il va falloir qu’ils nous donnent à tous un micro-cravate», s’amuse le juge. Toutes les cours d’assises ne seront pas prêtes, dès le 1er octobre, à enregistrer les débats. La Chancellerie prévoit d’expérimenter un système d’enregistrement dans une ou deux juridictions qui, s’il donne satisfaction, sera installé sur tout le territoire. En attendant, on ne pourra pas utiliser l’absence de captation sonore pour demander la nullité d’une décision de justice.

(1) «Au nom du peuple français, jury populaire ou juges professionnels ?», paru chez Odile Jacob.

Sonya FAURE

source : lepoint.fr
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