« Pour renforcer la sécurité », il faut « diminuer la pression intolérable qui existe dans les prisons » par Jean-Marie Delarue

LE MONDE |   • Mis à jour le  | Par  Jean-Marie Delarue (Ancien contrôleur général des lieux de privation de liberté de 2008 à 2014)

A force de réduire la sanction pénale à la seule peine d’emprisonnement, comme le souhaite Emmanuel Macron, la France se coupe de sanctions alternatives à l’emprisonnement qui favoriseraient davantage la réinsertion, explique dans une tribune au « Monde » Jean-Marie Delarue, ex-contrôleur général des prisons.

 

TRIBUNE. Nos prisons sont à genoux. Pour cent détenus prévus, les maisons d’arrêt en abritent aujourd’hui cent quarante. Elles sont donc la cause de conditions de vie dont notre démocratie ne s’honore pas. Elles engendrent des conditions de travail du personnel qui ne sauraient perdurer sans risques.

Surtout, en abaissant la qualité de leurs maigres prestations, elles accroissent le scepticisme sur la réinsertion possible des personnes libérées et aggravent la probabilité de récidive. En d’autres termes, si, d’ordinaire, la prison assure bien mal la sécurité revendiquée des Français, la surpopulation carcérale accroît la probabilité de la personne détenue de « mal » sortir à l’issue de sa peine.

Diverses propositions en matière de justice ont été faites durant sa campagne par le président de la République. En matière pénale, il a été prévu en particulier de mettre fin à la faculté pour le juge de l’application des peines de « convertir » les peines d’emprisonnement de deux ans et moins (un an et moins pour un récidiviste) en sanctions alternatives à l’emprisonnement. Ce qui justifie cette proposition, a-t-on expliqué, est ce raisonnement de « bon sens » qui voudrait que, lorsqu’une peine d’emprisonnement est prononcée, elle doive être exécutée.

Les peines alternatives bien là pour punir

Mais, en premier lieu, les dispositions du code pénal et du code de procédure pénale sont plus diverses qu’il n’y paraît. La conversion de la peine d’emprisonnement en semi-liberté ou placement sous surveillance électronique est ouverte tant à la juridiction de jugement (articles 132-25 et 132-26-1 du code pénal) qu’au juge de l’application des peines (article 723-1 du code de procédure pénale), qui peut aussi ordonner la « conversion » sous forme de placement extérieur (même article), tant pour les condamnés libres que pour les condamnés qui sont en cours d’exécution de peine et à qui il reste deux ans ou moins de détention à accomplir. Que veut-on au juste supprimer dans cet ensemble de dispositions ?

En deuxième lieu, le « bon sens » fait abstraction de tout l’effort accompli depuis un quart de siècle de ne pas réduire la sanction pénale à la seule peine d’emprisonnement. Nous savons bien que celle-ci va au-delà de ce que la loi prévoit en termes de ruptures et donc de conséquences pour la réinsertion future : aucune disposition pénale ne prévoit pas la perte du travail et du logement ; c’est pourtant bien ainsi que les choses se passent, même pour des courtes peines de prison.

Les peines alternatives et l’exécution alternative d’une peine d’emprisonnement sont bien là pour punir, contrairement à ce qu’imagine volontiers l’opinion, mais elles permettent d’éviter tous les effets collatéraux d’une incarcération. L’esprit dont s’inspire la proposition nous ramène clairement loin en arrière.

Aucune mansuétude particulière

En troisième lieu, au cours de la campagne électorale, le dispositif en vigueur a été présenté comme s’il était obligatoire pour le juge de l’application des peines d’en faire usage. Il n’en est évidemment rien. Comme toutes les mesures dont ce magistrat met en œuvre, c’est une simple faculté qui lui est ouverte, qui dépend naturellement de la « personnalité » et de la « situation » de chaque condamné.

Comment expliquer autrement qu’au 1er janvier 2015 (dernières données disponibles), les condamnés à des peines de moins d’un an représentent plus de 36 % de l’effectif des personnes incarcérées ? Les juges ne font preuve d’aucune mansuétude particulière, malgré tout ce qu’on raconte avec une conviction qui ne se donne pas la peine de considérer les choses comme elles sont.

Enfin, ce n’est pas démentir ce qu’on vient d’indiquer que de mettre en garde contre l’adoption d’une mesure qui se traduirait par un soudain afflux de nouveaux détenus dans les prisons françaises. Cet afflux se dirigerait essentiellement vers les maisons d’arrêt, réservées aux courtes peines. Or, celles-ci sont déjà peuplées, on l’a dit, bien au-delà de ce qu’un pays démocratique doit admettre. Faut-il, alors qu’aucune modification du volume de la délinquance ne peut justifier une telle mesure, l’envisager sans broncher ? L’opinion peut applaudir, peut-être. Mais quels en seront les effets sur la sécurité ? A l’évidence contre-productifs.

La détention provisoire en cause

Il importe au contraire, pour renforcer la sécurité, de… diminuer rapidement la pression intolérable qui existe dans les prisons. A cette fin, il existe deux mesures immédiates possibles.

D’une part une loi d’amnistie, prévue par le quatrième alinéa de l’article 34 de la Constitution : naturellement, on sait que son usage après une élection présidentielle s’est perdu depuis 2002. Rien n’interdit d’y revenir, selon des modalités qu’il appartient au Parlement de décider librement.

Et à ceux qui ne manqueront de soutenir que la libération de condamnés à de très courtes peines mettrait le pays à feu et à sang, on doit se référer à toutes les expériences contraires en la matière. La libération de dizaines de milliers de détenus en Californie, sur injonction de la Cour suprême américaine, n’a eu pratiquement aucune incidence sur la délinquance.

D’autre part une circulaire de politique pénale sur le recours à la détention provisoire. Les prévenus ont représenté, dans la période récente, avec régularité, le quart des personnes détenues. Brutalement, depuis un an, cette part est passée à près de 30 %. Elle explique largement l’augmentation actuelle de la population pénale. Qu’on n’incrimine pas le terrorisme : le nombre de personnes impliquées est largement en deçà du volume de l’augmentation.

Celle-ci apparaît d’ailleurs paradoxale moins de sept ans après la création de la possibilité de substituer à une détention provisoire, outre le contrôle judiciaire, une assignation à résidence avec surveillance électronique. Le nouveau garde des sceaux devrait opportunément rappeler au parquet le caractère très particulier que donne à la mesure l’article 144 du code de procédure pénale.

La justice doit aussi s’accommoder des réalités… pour être juste.

Retrouvez l’article en ligne sur le site Le Monde.fr

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