« Pour aménager une peine ab initio, il faut muscler les enquêtes pré-sentencielles »

Vice-présidente correctionnelle au tribunal de grande instance de Versailles, Angélique Heidsieck a été JAP dans une vie antérieure. Elle a donc une vision intéressante des aménagements de peine ab initio (prononcés directement au cours de l’audience de jugement) qu’entend favoriser le projet de loi Justice.

La rédaction : Quelle est la situation actuelle à Versailles ?

Angélique Heidsieck : On fait traditionnellement très peu d’aménagements ab initio : tout juste deux en 2016, quatre en 2017, et une douzaine en 2018. Depuis vingt ans, l’exécution des peines a été complètement déléguée aux JAP, pour le plus grand bonheur d’un certain nombre de mes collègues de correctionnelle, il faut bien le dire. Certaines juridictions font beaucoup mieux, notamment le tribunal de grande instance de Créteil, qui en prononce plusieurs dizaines par mois (avec un JAP dédié aux questions concrètes, comme celle des horaires). Pour qu’on en fasse plus, il faut muscler les enquêtes pré-sentencielles.

La rédaction : Des SPIP ou des associations ? Car c’est un point d’achoppement entre l’Assemblée et le Sénat…

Angélique Heidsieck : Cela fait vingt ans que je n’ai pas vu passer une enquête pré-sentencielle de SPIP, donc la question ne se pose plus, hormis dans les petites juridictions, ou éventuellement le dimanche. Les services associatifs apportent une vision plus large, renouvelée, parce que les enquêteurs viennent d’horizons divers. Même en post-sentenciel, ils peuvent faire plein de choses qu’on ne peut pas demander aux SPIP, notamment pour des raisons de statut : par exemple, aller vérifier, un dimanche à 22 heures, qu’un condamné est bien dans sa chambre. Et le secteur associatif peut mettre des moyens rapidement, recruter des gens quand il y en a besoin (et là, il y en a vraiment besoin !), parce que le temps d’avoir un CPIP supplémentaire… En revanche, il faut travailler sur la formation des enquêteurs de personnalité, leur expliquer ce qu’est un bracelet électronique, un placement extérieur… Et surtout, de quoi nous avons besoin pour statuer.

La rédaction : Que vous faudrait-il concrètement ?

Angélique Heidsieck : En comparution immédiate, nous n’avons souvent qu’une adresse (lorsqu’elle existe), et un emploi rarement vraiment vérifié. Or, pour prononcer une semi-liberté, par exemple, il faut connaître le lieu et les horaires de travail, le mode de transport, les temps de trajet… Pour un bracelet électronique, c’est encore plus compliqué, puisqu’il faut que la personne soit propriétaire ou titulaire du bail, ou bien l’accord du maître des lieux. Dans tous les cas, obtenir dans la journée l’adhésion et l’implication d’une épouse, ou des parents d’un jeune majeur, ce n’est pas simple : il se passe déjà souvent des choses un peu compliquées dans une famille dans ce genre de circonstances. On pourrait aussi prononcer une mesure ab initio, mais laisser au JAP le soin de fixer les modalités concrètes, ce qui est concevable même avec un mandat de dépôt [auquel cas le JAP a 5 jours pour statuer, NDLR]. Vous noterez que je ne parle même pas du placement extérieur, car très peu de magistrats savent de quoi il s’agit exactement : il faut avoir été JAP pour le savoir.

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