La ministre de la justice a achevé hier soir une visite officielle de 4 jours au Canada dans le cadre de sa réflexion sur la politique pénale. Son projet de réforme pénale sera débattu en séance publique le 14 avril prochain.
Cela a commencé vendredi après-midi par une courte visite sur le « balcon du général de Gaulle », celui de la façade Est de la mairie de Montréal où il a prononcé le fameux « Vive le Québec libre ». Mais la température extérieure (- 10 degrés) n’a pas permis à la ministre de la justice Christiane Taubira d’apprécier trop longtemps ces quelques mètres carrés historiques et le temps pressait pour une première réunion dans la grande salle du conseil municipal. Le programme de cette visite officielle de 4 jours était en effet fort dense dans un cadre d’étude des politiques pénales du Canada. La garde des Sceaux était accompagnée dans la délégation de Sandrine Mazetier, député de Paris et vice-présidente de l’Assemblée nationale, Michèle de Kerckhove, présidente de l’INAVEM (qui regroupe les associations qui accompagnent les victimes) ainsi que de Thierry Lebéhot, président de « citoyens et justice », fédération des associations qui prennent en charge les auteurs d’infractions. Voici quelques temps forts de ce séjour plein d’enseignements.
Rencontre avec la police
La garde des Sceaux et Sandrine Mazetier rencontrent la police de Montréal. La ministre a souhaité dès le premier jour se rendre au poste de police du quartier Saint-Michel, situé dans les quartiers nord de Montréal. C’est la maire d’arrondissement Anie Samson qui a guidé la délégation. Le quartier doit faire face à des problèmes de délinquance, notamment avec la présence de gangs de mineurs, et a développé des dispositifs de proximité qui font leur preuve. « Parfois on nous dit qu’on est pas là pour jouer au basket avec les jeunes, ce qui d’ailleurs n’est pas notre activité principale, sourit l’une des agents, mais tout le monde sait que lorsqu’on se retrouve sur un terrain avec les jeunes, ce n’est pas un enjeu uniquement sportif ». Une heure avant cette visite, Christiane Taubira avait justement entendu le commandant de police Fady Dagher dans la grande salle du conseil municipale : « on ne naît pas criminel, on le devient et même quand on l’est, ce n’est pas 24h/24h. Nous savons rester fermes mais dans le respect et la dignité de chacun» Le commandant poursuivait avec l’exemple des convocations au poste : « Quand il y a un problème, plutôt que d’aller chercher la personne à son domicile et l’exposer au regard public, on la contacte et on lui donne une heure précise pour qu’elle vienne. La plupart du temps, on n’a pas besoin de dépêcher une équipe pour la chercher. La personne préfère être présente et à l’heure. »
Entretiens avec les personnalités de la justice canadienne
Christiane Taubira aux côtés de Steven Blaney, ministre fédéral de la sécurité publique. Outre le dîner de la ministre organisé dimanche par Philippe Zeller ambassadeur de France à Ottawa, en présence des hautes personnalités de la justice canadienne, la garde des Sceaux a pu lundi et mardi s’entretenir plus avant avec certaines d’entre elles. D’abord, Beverley McLachlin, 3ème personne de l’Etat en sa qualité de juge en chef de la cour suprême qui est l’équivalent de nos conseil d’Etat, conseil constitutionnel et cour de cassation réunis. Elle a également eu un entretien avec le ministre fédéral de la justice canadienne Peter McKay. Les deux ministres ont prévu un bilan de la coopération pénale et ont évoqué la place des victimes dans les procédures pénales. Une entrevue a également eu lieu avec le ministre de la sécurité publique (équivalent du ministre de l’Intérieur) qui gère également l’administration pénitentiaire. Ce sont les méthodes de traitement de la récidive et les politiques de prévention qui ont dominé les débats. L’intérêt des sujets abordés a amené les deux ministres à se donner six mois pour parvenir à un accord de coopération. Enfin hier, Christiane Taubira était conviée à un déjeuner de travail avec le ministre de la justice du Québec Bertrand Saint-Arnaud. Les deux ministres se sont félicités de la qualité des relations bilatérales et ont abordé les sujets tels que l’aide juridictionnelle, le projet de réforme pénale français et la campagne électorale provinciale.
Conférence à HEC Montréal
Conférence de la ministre à HEC Montréal Amphi bourré à craquer, salles périphériques avec retransmission vidéo, lundi soir, l’école d’HEC Montréal attendait impatiemment la garde des Sceaux venue donner une conférence « Economie et société : quelle place pour la loi ? ». Deux heures et demie (séance photos souvenirs de 30 mn comprise) pour permettre à ces futurs hommes et femmes d’affaires (400 étudiants dans l’amphithéâtre principal) de garder à l’esprit que « l’économie est une science morale », comme aime à le rappeler Christiane Taubira, reprenant ainsi l’argument du prix Nobel d’économie Amartya Sen. Elle a aussi évoqué les deux conceptions de la loi, anglo-saxonne et continentale, l’une basée sur le contrat, l’autre sur l’intervention du législateur pour mieux déconstruire les clichés qui les isolent l’une de l’autre et rappeler le rôle essentiel de la loi « régulateur social ».
Réunion à la cour du Québec sur le traitement de la toxicomanie
Réunion à la cour du Québec sur le traitement de la toxicomanie
Visite du « dépôt » « à la Canadienne » (propre, bien agencé avec accès gratuit au téléphone), présence lors d’une audience et échanges avec les équipes dirigées par la juge en chef Elizabeth Corte, le déroulé de la visite mardi matin de la garde des sceaux à la cour du Québec ne manquait pas de variété. Ces différents aspects du travail de la cour qui siège au Palais de Justice de Montréal étaient surtout regroupés autour d’un même thème : le traitement de la toxicomanie. La cour du Québec a en effet mis en place une cour spéciale qui offre une prise en charge spécifique mêlant contrainte pénale et programme thérapeutique individualisé. Une expérimentation est d’ailleurs actuellement en cours de préparation à Bobigny en Seine-Saint-Denis reprenant ce principe d’une prise en charge spécifique, axée sur une coopération fine entre les services de justice, les services de santé, les services sociaux et bien sur les services d’enquête, et sur une évaluation rapide de la situation de la personne mise en cause.
Justice restauratrice
Visite de Christiane Taubira au CSJR
Après une réunion avec Denis Roy, le président de la commission des services juridiques qui administre 117 bureaux d’aide juridique et a validé l’an passé 224 396 demandes d’aide juridictionnelle, la délégation avait souhaité rencontrer les services de la justice réparatrice. Le responsable Raoul Lincourt et de son équipe ont présenté les actions du Centre de services de justice réparatrice (CSJR) et surtout, Sarah et Jean ont apporté leur témoignage. Ce dernier a effectué de nombreux séjours en prison (13 ans pour son ultime condamnation) et a pris pleinement part au processus en rencontrant avec 3 autres détenus dans sa situation quatre victimes des délits qu’il avait pu commettre. « J’avais fait le choix de la voie criminelle, j’imaginais que j’éviterai la violence mais elle m’a rattrapé, encore plus quand j’ai rencontré les victimes. J’ai pris conscience de ce qui se passait en elle, des conséquences de mes actes ». A sa sortie de prison, il y a un an et demi, Jean a décidé de courir 6 km par jour soit plus de 2400 kilomètres en un an pour attirer l’attention sur l’action du CSJR qui peut d’ailleurs compter cette année sur près de 1100 heures de bénévolat. L’histoire de Sarah est tout autre qui a été victime d’inceste de 4 à 6 ans. Elle l’a racontée en toute sincérité, alternant l’effroi de son récit et la chaleur de sa résilience. Grâce au CSJR, bien préparée, elle a pu rencontrer des prédateurs sexuels ; elle a fini même par vouloir se confronter à son agresseur (condamné 35 ans après les faits). « C’est une renaissance, souligne-t-elle. Il faut pouvoir poser toutes les questions, tous les pourquoi. Il faut retrouver la paix. L’un des détenus m’a écrit après nos rencontres et m’a demandé s’il pouvait endosser la culpabilité que je ressentais. Je l’ai vécu comme une chance d’être enfin moi-même. ». Une expérimentation de justice restauratrice a été lancée par Christiane Taubira à la maison centrale de Poissy.