La poursuite de la mobilisation des surveillants atteste du ras-le-bol d’une profession en proie à des violences quotidiennes. Le tout sur fond de surpopulation carcérale.
L’exécutif, qui a promis la création de 15 000 nouvelles places de prison, compte aussi développer les peines en milieu ouvert.
Vendin-le-Vieil, Borgo, Mont-de-Marsan, Tarascon… Sinistre loi des séries. En l’espace d’une semaine, pas moins de quatre agressions de surveillants – particulièrement graves – ont été recensées sur le territoire français, certaines émanant de détenus radicalisés. La réponse de la profession ne s’est pas fait attendre : selon un décompte de l’administration pénitentiaire, les surveillants ont bloqué la semaine dernière près de 80 des 188 établissements. Un blocage qui devrait repartir de plus belle ce matin, après l’échec des négociations menées entre l’exécutif et les syndicats (lire les repères).
La détermination des agents, tout comme l’ampleur du mouvement, témoigne d’un malaise profond dans la profession. Et pour cause : les agressions de ces derniers jours font douloureusement écho à celles commises quotidiennement en prison. On en recense chaque année près de 4 000 visant les surveillants et près du double entre détenus.
Une préoccupation partagée par la contrôleuse générale des prisons. Dans son dernier rapport annuel, Adeline Hazan s’alarme d’« une aggravation du climat de violence ». Et pointe du doigt la surpopulation carcérale (voir infographie). Dans certaines maisons d’arrêt, notamment en région parisienne ou dans le Sud-Est, le taux d’occupation dépasse les 200 %. Hasard du calendrier : la France était à nouveau épinglée, jeudi dernier, par le Conseil des droits de l’homme de l’ONU pour « la gestion de ses prisons ». Dans le viseur des Nations unies : la surpopulation chronique de ses établissements.
Les alternatives à l’incarcération se sont certes développées ces dernières années. Il n’empêche, la prison reste « la » peine de référence en France. Ainsi, en matière délictuelle, 52 % des sanctions prononcées sont des peines d’emprisonnement, même si elles sont, dans deux tiers des cas, assorties d’un sursis total. En cause : le durcissement du code pénal, le recours accru à la détention provisoire, la massification des comparutions immédiates. C’est ainsi qu’entre 1980 et 2017, le nombre de détenus a doublé. Et ce, alors que chez nos voisins une tendance inverse se dessine. Une étude du Conseil de l’Europe publiée en mars dernier atteste d’une baisse de 6,8 % du nombre de détenus sur le continent européen en 2015. La même année, la France était l’un des rares pays à enregistrer une hausse de sa population carcérale (+ 5,4 %).
Une fatalité ? L’exécutif assure que non et promet de développer les alternatives à l’incarcération pour les petits délits. « D’autres peines doivent être massivement mises en œuvre », a déclaré le président de la République lors de l’audience solennelle de Cour de cassation, le 15 janvier. Une agence nationale du travail d’intérêt général devrait prochainement voir le jour. Autre sanction prisée par l’exécutif : le bracelet électronique. « Il faut en assumer la place et en clarifier l’usage », a affirmé le chef de l’État.
Une position partagée par la ministre de la justice, elle-même convaincue que « les condamnations à de courtes peines génèrent de la récidive ». Nicole Belloubet, qui présentera au printemps un projet de loi sur le sujet, pourrait s’inspirer des préconisations faites la semaine dernière dans le cadre des chantiers de la justice. Comme, par exemple, le fait de systématiser le placement sous bracelet électronique de tous les condamnés à moins de six mois de prison. Autre proposition sur la table : inciter les magistrats à « prononcer des mandats de dépôt à effet différé dans le temps afin de prendre en compte les capacités d’accueil des prisons ». Et ce, afin d’endiguer la surpopulation carcérale.
Voilà pour les alternatives à l’incarcération, mais que faire pour les prisons ? On ignore pour l’heure les projets de l’exécutif en la matière. Le « plan pénitentiaire global » annoncé par Emmanuel Macron pour fin février devrait préciser les choses. Et décider notamment du sort à réserver aux détenus radicalisés. Seule certitude : l’exécutif projette la création de 15 000 nouvelles places de prison. Fait rare, les parlementaires semblent bien décidés à se faire entendre sur le sujet. La présidente de la commission des lois Yaël Braun-Pivet vient de lancer quatre groupes de travail sur le sujet : l’un portant sur le traitement psychiatrique des détenus, un autre sur l’activité en détention, un troisième sur la réinsertion professionnelle et un dernier sur la sécurisation différenciée des établissements. « On peut imaginer des centres de détention plus ouverts et ne pas créer à nouveau 15 000 places telles qu’elles existent aujourd’hui, estime-t-elle. Ce sont des centres qui coûtent beaucoup moins chers et qui ont d’excellents taux concernant la récidive. »
Développer les aménagements de peine, améliorer les conditions de détention… On ne compte plus les discours en ce sens ces dernières années. En 2009 déjà, la loi pénitentiaire prévoyait l’aménagement des peines de prison de moins de deux ans. Cinq ans plus tard était créée une nouvelle sanction à effectuer en milieu ouvert, la contrainte pénale, dans l’espoir d’endiguer le recours trop fréquent à la prison. En vain.
« Les textes ne suffisent pas à changer les pratiques judiciaires, analyse Frédéric Lauféron, directeur général de l’Association de politique criminelle appliquée et de réinsertion sociale (Apcars). Les magistrats ne prononcent de peines en milieu ouvert que lorsqu’ils sont sûrs que les condamnés font bien l’objet d’un suivi strict à l’extérieur. » Or, les moyens accordés aux services d’insertion et de probation restent, de l’avis de tous, largement insuffisants.
Impossible, enfin, de modifier les pratiques sans l’adhésion de la population. Or, plusieurs récentes enquêtes attestent d’un raidissement de l’opinion sur la question des prisons, un nombre croissant de Français plaidant pour un durcissement du code pénal et des conditions de détention. Une évolution « qui s’explique en partie par la problématique du terrorisme », selon l’Ifop.
Un amalgame inévitable vu le contexte, mais infondé. L’immense majorité des détenus se trouve renvoyée derrière les barreaux pour un petit délit. Et pour une assez courte durée (onze mois en moyenne). « Pour ce genre de profils, une peine en milieu ouvert serait bien plus profitable, avance Marie Crétenot, juriste à l’Observatoire international des prisons (OIP). Toutes les études l’attestent : pour un même délit, les condamnés suivis à l’extérieur récidivent beaucoup moins que ceux placés en détention. Il faut faire savoir cela au grand public. Et bien comprendre qu’incarcérer un individu permet de le neutraliser à court terme mais pas de gagner en sécurité à long terme. »