Courrier, matériel informatique, locaux,… : les procureurs généraux et les premiers présidents, craignant de « graves dysfonctionnements », ont alerté la garde des Sceaux début avril.
« C’est une première » selon le président de l’USM (Union syndicale des magistrats, majoritaire) Christophe Régnard, qui assure n’avoir « jamais vu ça, sur un thème de cette nature, en ces termes ». D’où sa décision de rendre publique, mercredi 12 juin, la lettre adressée début avril à la garde des Sceaux par la Conférence des procureurs généraux et celle des premiers présidents. Un courrier qui fait part de leur « vives inquiétudes » quant à l’évolution des dotations budgétaires au cours de l’année, du « gel annoncé des réserves ministérielles » et des « efforts budgétaires supplémentaires envisagés ».
Après avoir réduit « à leur minimum, voire supprimé, » toutes les dépenses non obligatoires « pourtant souvent indispensables » comme le renouvellement de matériel technique et informatique, les chefs de cours, écrivent-ils, sont désormais contraints de faire de même pour les dépenses dites « obligatoires » dont dépend le « cœur du fonctionnement » des juridictions.
7% d’économie sur le courrier
Ils s’élèvent notamment contre une baisse des frais de courrier, quand « près de 90% » des envois sont incontournables. Le procureur général près la cour d’appel de Lyon et président de la Conférence des procureurs généraux Jacques Beaume explique aussi au « Nouvel Observateur » : « Le fait de nous imposer 7% d’économie sur le courrier ne nous paraît pas pertinente, car la grande majorité des courriers ne relève pas de l’administratif, mais de courriers liés à des obligations de procédures légales et réglementaires, et qu’en conséquence nous n’avons pas le choix de ne pas les adresser. »
Un point critique, commente aussi Christophe Régnard : « On ne peut pas se passer de l’envoi de notifications, convocations, envoi de réquisitoires définitifs… » Quelles peuvent être les conséquences concrètes de ces restrictions budgétaires ? « Au pénal, les procédures sont bloquées, au civil, les délais d’appel sont retardés, car bien souvent les gens sont absents lors du rendu du jugement et les délais débutent après réception du jugement… », répond le président de l’USM. « Alors que par ailleurs les besoins explosent et qu’il faut gérer de plus en plus de dossiers ».
Du matériel informatique non renouvelé
Autre point soulevé par les chefs de cours : l’état du matériel informatique confronté à une « quasi-impossibilité de modernisation ». Or, comme le rappelle Christophe Régnard, « toutes les procédures sont dématérialisées » et de plus en plus d’échanges se font via Internet : « Entre les avocats et les magistrats, entre les magistrats entre eux… » Le matériel est, dit-il, « complètement obsolète », et les connexions web « extrêmement lentes ». « Certains rencontrent des problèmes de papier », ajoute Christophe Régnard et, pour imprimer leurs jugements, « en quémandent dans d’autres administrations. »
Les hauts magistrats, qui gèrent des « bâtiments anciens », s’inquiètent par ailleurs de futurs problèmes qu’ils sont susceptibles de rencontrer quant à la gestion des locaux : « Au-delà des charges à payer », ils ne pourront sans plus de moyens, expliquent-ils encore, « effectuer au mieux qu’un entretien d’urgence ou de sécurité immédiate ». « Les locaux se dégradent », indique Christophe Régnard, pointant aussi un manque de moyens pour assurer la surveillance des entrées des palais de justice : « Ils sont équipés de portiques de sécurité, mais un portique ne dispense pas d’une présence humaine, et certains ont des problèmes pour rémunérer les sociétés privées employées ».
Les chefs de cours « se réjouissent » du fait que la ministre ait « réussi » à faire « progresser significativement les dotations de frais de justice » (rémunération d’experts, enquêteurs sociaux,…), qui rencontrent des problèmes de paiement depuis longtemps. Mais ils préviennent : « sans abondement », leur paiement « ne pourra sans doute plus être assuré à compter du troisième trimestre 2013 ».
Des conséquences sur la formation, les déplacements
« Conscients des contraintes budgétaires pesant sur les finances publiques », les présidents de la Conférence des procureurs généraux et de celle des premiers présidents, qui rappellent les besoins en effectifs, notent également leurs craintes liées aux conséquences de restrictions budgétaires sur les formations et les déplacements. Selon les chefs de cours, l’équilibre budgétaire affiché n’a été obtenu « qu’au prix d’un artifice de minoration des besoins réels ». « La France dégringole dans le classement de la CEPEJ (Commission européenne pour l’efficacité de la justice) pour son budget consacré à la justice et personne ne fait rien », tempête encore Christophe Régnard.
« Nous avons voulu attirer l’attention de la garde des Sceaux sur nos inquiétudes concernant les dotations budgétaires pour la fin de l’année », précise également le président de la Conférence des procureurs généraux, Jacques Beaume. « Si les budgets ne comportent pas les abondements correspondant aux besoins et que les ‘gels’ annoncés sont définitivement maintenus, nous serons dans la peine d’assurer le bon fonctionnement de la justice ». Et les deux organisations de conclure leur courrier en expliquant avoir tenu à partager leurs préoccupations avec la ministre en vue « d’éviter la ‘surprise’ de graves dysfonctionnements qui ne manqueront pas d’apparaître (…) dès le milieu de l’année en cours » dans les juridictions françaises.
Par Celine Rastello