Montée en puissance spectaculaire du renseignement pénitentiaire

 Par AFP , publié le , mis à jour à 

Paris – Mesurer la menace jihadiste, assurer la continuité du suivi entre « dedans » et « dehors »: le renseignement pénitentiaire français a connu une montée en puissance spectaculaire, avec pour objectif premier la prévention du terrorisme.

« Il y a un an, on était un bureau du ministère de la Justice. on est devenu un service du deuxième cercle du renseignement« , résume Charlotte Hemmerdinger, cheffe du Bureau central du renseignement pénitentiaire (BCRP).

Avec un « triple objectif« : la prévention du terrorisme, celle de la délinquance et du crime organisé, et la sécurité pénitentiaire. « Ce qui nous occupe le plus est la prévention du terrorisme« , dit-elle. Une priorité encore renforcée par la série d’agressions de surveillants par des détenus radicalisés, à l’origine en janvier du plus important mouvement de blocage des prisons depuis vingt-cinq ans.

Deux décrets entrés en vigueur il y a tout juste un an, le 1er février 2017, offrent un statut aux quelque 300 agents du BCRP et des pouvoirs particuliers à ces personnels dépendant de la chancellerie mais désormais habilités à utiliser des techniques jusque-là réservées aux agents du ministère de l’Intérieur.

Ces textes modifient en profondeur l’administration centrale de la Justice, avec la création d’un Bureau central du renseignement et de cellules au sein des dix directions interrégionales de la pénitentiaire. Une révolution.

L’ex-garde des Sceaux Christiane Taubira était farouchement opposée à cette intrusion du renseignement au coeur même du ministère de la Justice. Son successeur Jean-Jacques Urvoas a mené la réforme tambour battant: présentant un plan de lutte contre la radicalisation violente en octobre 2016, il faisait de la « détection de comportements à risque » une priorité « imposant de disposer d’un outil de renseignement performant« .

Ce changement prenait acte de l’explosion du nombre de détenus considérés comme des islamistes radicalisés – passé de 700 en 2015 à 1.300 fin 2016 – et de l’échec des politiques successives de gestion de ces profils: aires dédiées, centre fermé etc.

Un tournant qui emporte l’adhésion politique après l’agression en septembre 2016 d’un surveillant par un détenu radicalisé à Osny (Val-d’Oise), signant « le premier attentat jihadiste fomenté en prison« , rappelle-t-on à la Direction de l’administration pénitentiaire (DAP).

– ‘3.000 personnes’ sous surveillance –

Personne n’a vu le danger que pouvait représenter ce détenu pourtant placé dans une aire dédiée. « On prend conscience que la prison est un angle mort du renseignement et après les attentats de 2015 et 2016, ce n’est plus acceptable« , commente un agent.

« Notre objectif est de maintenir la continuité du renseignement« , explique-t-on au Bureau central. Auparavant, un profil radicalisé était suivi par les services à l’extérieur, comme la DGSI, puis il était « perdu » pendant sa détention: « On ne savait pas qui il voyait, comment il se comportait, quels étaient ses projets. A l’inverse, la détention ignorait tout du profil à son arrivée« .

Le BCRP, qui surveille actuellement 3.000 personnes, dispose d’une large palette de techniques, allant du recueil de données de connexion (fadettes) à la géolocalisation, en passant par les écoutes de téléphones fixes en détention mais aussi des portables introduits illégalement, notamment à l’aide d’un IMSI catcher qui simule une fausse antenne relais.

Mais l’essentiel reste du renseignement humain et l’efficacité tient au partage d’informations, au sein de la DAP et auprès des autres services de renseignement, le BCRP ayant accès à tous les documents classés du second cercle.

Ce croisement d’infos a permis de déjouer en octobre un projet d’attentat ourdi en cellule à Fresnes, une des grandes prisons de la région parisienne, qui concentre l’essentiel des dossiers terroristes.

Un partage d’informations fondamental car « la masse des détenus au profil terroriste sera dehors d’ici cinq ans« , estime une source proche du dossier. A l’extérieur, les plus instables ou dangereux pourront être « repris en main par d’autres services, pendant des années s’il le faut« .

Quant au brouillage des téléphones portables, tel qu’envisagé parallèlement à l’installation de lignes fixes en cellule, il pourrait priver d’une source d’information autant que neutraliser une menace venue de l’intérieur de la détention, estime-t-on.

Ce qui manque? Des moyens humains avant tout, et du temps. « On a coutume de dire qu’il faut cinq ans pour faire un bon service« , indique cette même source.

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