Mauvaise passe pour Christiane Taubira

L’équation politique Taubira, pour le président et son premier ministre, se révèle de plus en plus complexe. Et le calcul pour la résoudre, entre les coûts et les bénéfices de son maintien au gouvernement, chaque jour un peu plus délicat. Après les mouvements de protestation, concentrés en quelques jours, des policiers, des avocats et des surveillants pénitentiaires, le dossier de la garde des sceaux est à nouveau en haut de la pile. Diagnostic du collaborateur d’un ministre important :

« Hollande et Valls vont devoir peser entre ce que leur apporte Taubira comme caution frondeuse et icône intellectuelle, d’une part, et d’autre part, les temps très sécuritaires et dangereux que nous vivons, dans lesquels les Français exigent une politique répressive. »

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Le dilemme, cruel, plane depuis des mois sur l’exécutif. Mais il prend, ces jours-ci, un tour plus prégnant encore. Est-il possible de se séparer de celle qui constitue, depuis les départs de Cécile Duflot, Arnaud Montebourg et Benoît Hamon, le dernier symbole d’une gauche véritablement de gauche, dans un gouvernement dont le centre de gravité politique penche aujourd’hui nettement vers le duo Valls-Macron ? D’une de ses rares icônes, qui aurait « déjà reçu plus d’une douzaine de demandes pour participer à des meetings pour la campagne des élections régionales », selon son entourage ? Ou à l’inverse, peut-on conserver durablement une ministre si régulièrement et vivement contestée, cible préférée de la droite et de l’extrême droite, mais désormais également des professions judiciaires ? Il s’agit quoi qu’il en soit d’une « séquence difficile », pour reprendre le mot d’un membre du cabinet de Mme Taubira.

La manifestation des policiers qui l’avait ouverte, mercredi 14 octobre, était la plus redoutée. Elle aura en réalité plutôt épargné la ministre, l’attention s’étant reportée sur la réponse apportée par Manuel Valls, le jour même du rassemblement.

Quant à celle des personnels pénitentiaires, jeudi 22 octobre, elle a été un succès, avec 2 000 à 3 000 surveillants et personnels administratifs venus sur leur temps de repos, la grève leur étant interdite. A l’appel d’une intersyndicale (UFAP, SNPFO-PS, SNJFO-PA et CGT Pénitentiaire), ils réclamaient plus d’embauches pour combler les 1 200 postes vacants recensés, des revalorisations salariales, ainsi que de meilleures conditions de travail : la délégation reçue par la ministre est ressortie sans grand chose de concret, en dehors d’un rendez-vous à l’Elysée. Le caractère très politisé du mouvement – certains syndicalistes réclamant ouvertement la démission de la ministre et dénonçant la politique « pro-voyous » du gouvernement –, en a cependant atténué les dommages pour Mme Taubira.

Conjonction d’oppositions

Ce sont paradoxalement les seuls à n’avoir pas défilé place Vendôme qui représentent aujourd’hui le dossier le plus sensible pour Mme Taubira. La bronca diffuse des avocats contre la réforme de l’aide juridictionnelle a pris en quelques jours une ampleur insoupçonnée. Afin d’éteindre l’incendie, la garde des sceaux multiplie les gestes d’apaisement. Au lendemain d’une réunion, mercredi 21 octobre, avec les présidents des trois organisations professionnelles concurrentes (Conseil national des barreaux, Conférence des bâtonniers, Barreau de Paris), elle leur a adressé un courrier pour réitérer sa volonté de dialogue et confirmer un coup de pouce financier : un amendement gouvernemental sera déposé lors de la discussion du budget 2016 au Sénat afin d’annuler la ponction de 5 millions d’euros prévue sur les produits financiers des fonds gérés par les avocats (Carpa).

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Pourtant, la grève de l’aide juridictionnelle n’est toujours pas levée. Certains barreaux ont même décidé jeudi d’élargir le mouvement à l’ensemble des activités judiciaires des avocats. Une assemblée générale du Conseil national des barreaux était convoquée, vendredi 23 octobre, pour décider de la suite du mouvement.

Ce n’est pas la première fois que Mme Taubira traverse une telle conjonction d’oppositions. « Mais là, l’addition devient problématique, convient un conseiller ministériel. Elle paie forcément le fait de ne pas avoir suffisamment géré son ministère. Au bout d’un moment, le verbe ne suffit plus. »

Le duo exécutif a demandé à la garde des sceaux de faire redescendre la pression avec les personnels concernés. Voire, de manière plus générale, de durcir quelque peu le ton. Depuis la fusillade de Saint-Ouen, le 5 octobre, au cours de laquelle un policier de la BAC a été grièvement blessé, « elle assume un discours de sécurité et d’ordre, ce qui n’a pas toujours été le cas jusque-là », se félicite un proche du chef du gouvernement. L’arrivée en juin, après trois directeurs en trois ans, d’Alain Christnacht pour diriger son cabinet, aurait stabilisé la relation. Ce conseiller d’Etat de 68 ans a notamment pour mission d’éviter les couacs avec la Place Beauvau.

Départ à court terme « ni évoquée, ni abordée »

« On a connu dans le passé des moments d’affirmation et de tension », reconnaît ce conseiller vallsiste. Ainsi, l’affrontement avec Manuel Valls, alors ministre de l’intérieur, sur la réforme pénale en 2013, ou la visite aux frondeurs à l’université d’été de la Rochelle en 2014. « On n’est plus dans cette période-là. Quelque part, elle a fait le choix de rester dans l’équipe gouvernementale », poursuit-il.

Mme Taubira, qui n’a aucunement l’intention de quitter le navire, a devant elle trois projets de loi. Ceux sur l’indépendance de la magistrature et sur la justice du XXIe siècle arrivent en discussion au Sénat le 3 novembre. La réforme de la justice des mineurs, sujet beaucoup plus inflammable, est censée passer en conseil des ministres en janvier 2016, et elle aurait obtenu « des assurances » du duo exécutif sur ce dossier, auquel elle tient. Même si, d’ici là, le remaniement post-régionales pourrait déjà avoir eu lieu, rebattant les cartes. Officiellement, la question du départ de la ministre, à court terme, « n’est pas évoquée, ni abordée », assure l’Elysée.

« Plus elle est attaquée, moins elle a de chances de partir, estime un proche du président. Imaginez ce que cela représenterait pour la gauche de la sacrifier sur l’autel de la contestation ? » MM. Hollande et Valls tranchent toujours l’équation Taubira en faveur de cette dernière. Pour le moment.

David Revault d’AllonnesGrand reporter au service politique et Jean-Baptiste Jacquin, journaliste
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