Article de Alain Salles, publié sur LeMonde.fr , le 01 septembre 2009
Le président de la République veut aller vite sur la réforme de la procédure pénale. En recevant les membres du comité Léger, mardi 1er septembre en fin d’après-midi, Nicolas Sarkozy devait charger la ministre de la justice et des libertés, Michèle Alliot-Marie, d’élaborer un texte à partir des recommandations du rapport Léger – suppression du juge d’instruction, création d’un juge de l’enquête, renforcement des droits de la défense. Il devait aussi revenir sur les préconisations qu’il avait lui-même évoqué devant la Cour de cassation en janvier, comme la présence de l’avocat dès le début de la procédure ou la création d’une audience publique de charges pour renforcer le contradictoire. Il ne devrait pas fixer de calendrier précis mais Mme Alliot-Marie espère présenter un texte au Parlement dès l’été 2010.
Le comité présidé par l’ancien avocat général, Philippe Léger, est loin d’avoir fait l’unanimité. Les opposants à la suppression du juge d’instruction ont dénoncé sa composition politique, marquée par la présence de Me Thierry Herzog, excellent pénaliste, mais aussi avocat de Nicolas Sarkozy. A l’Elysée, comme à la chancellerie, on juge le rapport un peu superficiel eu égard aux enjeux de la réforme. Le comité a été marqué par des discussions houleuses, qui se traduisent par l’absence d’unanimité dans les recommandations. Deux de ses membres (le journaliste Mathieu Aron et la juge d’instruction Corinne Goetzmann) ont démissionné en janvier. Deux autres membres ont bénéficié d’une promotion : Philippe Lemaire, procureur de Lille, a été nommé procureur général de Riom, et Martine Bernard, présidente de la chambre de l’instruction d’Aix-en-Provence, occupe désormais les mêmes fonctions à Paris.
C’est une révolution des cours d’assises que prépare le comité Léger chargé de la réforme de la procédure pénale, après avoir entériné la suppression du juge d’instruction.
Par cette réforme, M. Sarkozy engage la justice dans un bouleversement majeur, l’un des plus importants que cette institution a connu depuis cinquante ans. Le chef de l’Etat est cependant conscient de la très grande sensibilité politique de la question de la suppression du juge d’instruction. Il veut donc mettre en avant le bien fondé d’une réforme qui relèverait d’un « progrès de civilisation ». Il s’agit, pour l’Elysée, de corriger le tir par rapport à la perception négative par l’opinion de la suppression du magistrat instructeur. A l’Elysée, on assure ainsi vouloir éviter une « guerre de religions ».
Mme Alliot-Marie est chargée de la mise en oeuvre de la réforme. Elle devrait organiser une concertation sur le sujet. La ministre de la justice va demander à ses services de rédiger un projet de loi et de consulter les professionnels et les parlementaires. Elle devra convaincre ces derniers du bien-fondé de la réforme alors qu’ils avaient choisi, en 2007, d’instaurer une collégialité des juges d’instruction après les travaux de la commission Outreau. Un groupe de travail restreint de magistrats et d’avocats va être également constitué autour du directeur de cabinet de Mme Alliot-Marie, le magistrat François Molins. La ministre organisera, une fois par mois, des réunions de travail élargies à des universitaires et des parlementaires.
L’objectif est de proposer un avant-projet de loi fin janvier 2010, en vue d’un premier examen parlementaire à l’été. Mais le délai sera-t-il suffisant pour une concertation sur une telle révolution du système pénal français ? La ministre n’exclut pas, par ailleurs, d’aller plus vite en ce qui concerne la limitation des conditions de placement en garde à vue ou des délais butoirs de détention provisoire. Ces deux axes de réforme pourraient éventuellement faire l’objet d’un texte de loi séparé.
La suppression du juge d’instruction. Mme Alliot-Marie a regretté, lundi 31 août, que l' »on se focalise sur le juge d’instruction qui ne représente que 4 % des affaires », en estimant que l’objectif du rapport Léger était de « protéger les droits de la défense et les droits de la victime », dans le cadre d’une « procédure moderne et efficace ». Le juge d’instruction sera remplacé par le parquet pour ses fonctions d’enquêteur et par un juge de l’enquête et des libertés.
La suppression du juge d’instruction est toutefois au coeur de la réforme, car même si son pouvoir a pâli, il reste la clé de voûte du système pénal. Sa suppression marquera l’un des bouleversements les plus importants depuis les réformes Debré de la justice en 1958. C’est en 1959 que le juge d’instruction, qui était sous le contrôle du parquet, avait pris son indépendance. Cinquante ans après, sa disparition entraîne un changement des équilibres judiciaires.
Pas d’indépendance pour le parquet. L’ensemble des enquêtes seront dorénavant conduites par le parquet. Cette proposition s’inscrit dans la lignée du rapport de la juriste Mireille Delmas-Marty de 1990. Mais le rapport Léger n’envisage pas un certain nombre de contreparties préconisées alors, notamment en termes d’indépendance. Le comité n’estime pas nécessaire de modifier le statut du parquet et de revoir ses conditions de nomination. La Cour européenne des droits de l’homme a pourtant estimé que le procureur français n’était pas une autorité judiciaire, en raison de ses liens avec le pouvoir exécutif. L’Elysée n’envisage de toute façon pas une nouvelle réforme constitutionnelle sur le statut du parquet.
Le rapport Léger ne remet pas en cause la pratique des instructions individuelles de la chancellerie dans les affaires pénales. Mme Alliot-Marie a indiqué que les instructions de poursuite seraient motivées – les instructions de classement sont aujourd’hui interdites. La chancellerie étudie d’autres moyens de renforcer l’autonomie de l’enquête, comme la possibilité pour le procureur de « désobéir » à une instruction s’il l’estime contraire aux intérêts de l’enquête. Soumis au lien hiérarchique, les magistrats du parquet ne sont cependant pas familiers de la désobéissance.
Le statut du juge de l’enquête et des libertés. Chargé du contrôle de l’enquête, ce juge du siège indépendant interviendra pour les actes coercitifs (placement en détention, écoutes, perquisitions) comme l’actuel juge des libertés et de la détention (JLD). C’est vers lui que se retourneront les parties (mis en causes ou victimes) en cas de désaccord avec le parquet dans la conduite de l’enquête. Il peut ordonner au parquet de réaliser des actes d’enquête que celui-ci avait précédemment refusé.
Quelle connaissance aura-t-il des enquêtes ? Beaucoup de JLD n’ont aujourd’hui guère les moyens de s’opposer à des demandes d’actes des enquêteurs. La chancellerie devrait donc permettre au juge de l’enquête d’être mieux informé des affaires en cours. Pour la ministre de la justice, il s’agira d' »un juge fort, qui puisse remettre en cause une décision de classement du parquet ».
Révolution dans l’organisation des audiences. Les présidents des tribunaux correctionnels et des cours d’assises seront chargés d’arbitrer les débats, sans y participer. C’est une évolution à l’américaine de l’audience. Mais contrairement au procès américain, où l’accusation et la défense s’affrontent à armes égales, l’équilibre du futur système français pourra être compromis par l’importance des parties civiles dans le procès, qui participeront à « l’interrogatoire croisé » des prévenus et des témoins. Le comité Léger propose par ailleurs l’instauration d’un plaider-coupable criminel. La chancellerie réfléchit ainsi à une extension du plaider coupable, limité aujourd’hui aux délits passibles de moins de cinq ans de prison.