L’hébergement d’urgence, une affaire de saison

La nuit approche et pour la première fois, Boubacar comprend qu’il n’aura pas d’endroit où dormir. C’est la veille de Noël, il appelle le 115 : « pas de place », lui répond-on. Son allure débonnaire se teinte d’embarras lorsqu’il évoque, quelques semaines plus tard, ces quelques nuits passées à la gare ou sur un banc public : « j’étais désespéré, désemparé (…), je suis tombé bien bas ». Trois jours après son premier appel et à l’issue d’une heure de communication avec le Samu social, il trouvera finalement une place à l’Armée du salut, au Fort de Nogent (Val-de-Marne). Aujourd’hui, il s’estime chanceux : il pourra rester dans sa chambre jusqu’au 31 mars, date de la fermeture annuelle du centre alors que la majorité des hébergements d’urgence s’obtiennent pour une nuit ou deux. Son histoire ressemble à celle de nombreux autres occupant du foyer : perte d’emploi, séparation, plusieurs années dans des logements précaires…

 

Comme le premier appel de Boubacar, 49 % des demandes ont essuyé un refus en décembre, d’après la Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale (Fnars). En cause, un dispositif d’hébergement d’urgence sous dimensionné avec un déficit d’environ 70 000 places, selon un rapport parlementaire remis le 26 janvier. Les corapporteurs de ce rapport, Arnaud Richard (UMP) et Danièle Hoffman-Rispal (PS), soulignent la tension extrême entre le manque de structures d’accueil d’une part et une population sans domicile qui a probablement doublé depuis 2000 d’autre part. En décembre pourtant, le gouvernement avait rejeté l’éventualité d’augmenter les capacités d’hébergement d’urgence. « Il est possible de limiter la demande par la prévention et de mieux y répondre par l’accélération des sorties vers le logement », avaient alors avancé le secrétaire d’Etat au Logement Benoist Apparu et sa ministre de tutelle Nathalie Kosciusko-Morizet.

 

A cette difficulté s’ajoute une « gestion au thermomètre » de l’hébergement dénoncée par les acteurs sociaux. Du fait d’un hiver clément, le volume de places mises à disposition a été longtemps réduit. Depuis ce week-end, et la chute des températures, le plan grand froid – enclenché lorsque les températures sont négatives le jour et comprises entre – 5 °C et – 10 °C la nuit – a pu être décrété dans plusieurs départements, permettant l’ouverture de places d’hébergement supplémentaires pour les sans domicile fixe et le renforcement des équipes du Samu social.

 

Une logique dénoncée par l’Observatoire national du 115 (pdf) qui s’émeuvait, dans une étude publiée le 13 janvier, de voir des places inexploitées, car réservées au plan grand froid, alors que de nombreux SDF dormaient à la rue. Au moment de la publication de ce rapport, 150 places étaient ainsi bloquées dans la capitale. La polémique déclenchée par le texte a poussé les autorités à agir, et à mettre à disposition les places disponibles avant même l’arrivée de la rigueur hivernale. Au Fort de Nogent, l’Armée du salut a ainsi vu ses 23 places non disponibles débloquées alors que les températures étaient encore positives. Toutes ont été immédiatement remplies.

 

« Il faut attendre qu’on se les caille pour gérer les SDF », s’insurge Juliette Laganier, chargée de mission « lutte contre l’exclusion » à la direction de l’action sociale de la Croix-Rouge. Selon le collectif Morts de la rue, autant de SDF meurent dans la rue l’été que l’hiver. « Les collectivités gèrent la question de l’hébergement d’urgence à l’aune des cas d’hypothermie », déplore Arnaud Richard, dont le rapport préconise ainsi la conservation des places ouvertes l’hiver pendant le reste de l’année. Selon le parlementaire, on dénombre 82 600 places en hébergement d’urgence l’été tandis que 9 300 places complémentaires sont ouvertes l’hiver. « Sur certains secteurs, la variation entre la période hivernale et le reste de l’année est de 50 % », considère de son côté Mathieu Angotti, directeur général du Fnars.

 

DÉCLENCHER L’ACCOMPAGNEMENT SOCIAL

 

Pour la Fnars comme pour les auteurs du rapport parlementaire, la meilleure façon de contenir l’urgence est la prévention. « Il faut déclencher tout de suite l’accompagnement social. En hôtel ou en gymnase, on tourne en rond, il faut une adresse, la possibilité de poser les bagages », préconise Mathieu Angotti.

 

A l’étage de l’Armée du salut, de la musique s’échappe d’un dortoir, l’une des deux chambres de femmes, sept places chacune sur les 160 places que compte le centre. Cela fait un peu plus de deux mois que Grâce (le prénom a été changé) est arrivée. Sur le mur au-dessus de son lit, des photos de son fils, de moments festifs. La jeune femme de 25 ans a les mots amers : « Si j’avais su que c’était comme ça, je ne serais pas partie pour des gifles sur la figure. » Elle a quitté son foyer pendant l’été, car son mari la battait. A l’évocation de son fils, placé en famille d’accueil, Grâce laisse échapper des larmes. Inscrite en intérim dans la vente, elle raconte ses journées d’été, « tu te balades dans la rue, avec pas grand-chose sur toi ». Elle se rappelle de la difficulté à composer le 115 les premiers jours. « Pour moi, c’était pour les SDF », exprime-t-elle avec embarras. Elle appelle ensuite le Samu social tous les jours, à plusieurs reprises afin d’avoir une place pour la nuit. « Parfois je quittais le travail et je ne savais pas où aller », raconte-t-elle.

 

Ce sera des chambres dans des foyers, pour une nuit avec départ obligatoire au petit matin. Les collectivités peuvent aussi loger dans des hôtels, pour des séjours plus longs ou ouvrir des gymnases, l’hiver, pour une nuit. Selon Arnaud Richard, cette gestion à l’urgence, outre le coût humain, présente un coût économique, un milliard d’euros par an selon le député. « A court terme, une nuit d’hôtel coûte peu cher, renchérit Mathieu Angotti, mais être coincé pendant trois ans à l’hôtel, c’est très coûteux. »

 

Le rapport corapporté par Arnaud Richard préconise plusieurs pistes : repenser le rôle des commissions de coordination des actions de préventions des expulsions qui pourraient « donner une chance » aux personnes en situation d’impayés, porter davantage d’attention au public vulnérable comme les jeunes sortant de l’Aide sociale à l’enfance. Le rapport propose encore d’inciter les communes à construire des hébergements d’urgence en « bonifiant » ces hébergements dans le cadre de la loi SRU. Le taux obligatoire de logement sociaux à atteindre (20 %) pourrait également être relevé dans les zones les plus sensibles. Enfin, le rapport propose une meilleure communication entre les acteurs sociaux afin que les dossiers soient traités de façon plus efficace.

 

« C’est toute l’histoire du logement d’abord, note Mathieu Angotti, dès qu’on détecte une situation d’urgence il faut mettre le paquet tout de suite, quitte à investir beaucoup d’argent les premiers jours. » Selon les calculs de la Fnars, il existe actuellement un travailleur social pour 30 à 50 personnes, « il faudrait un travailleur pour 2 à 5 cas les premiers jours de l’accompagnement », estime Mathieu Angotti. La Fnars cite l’exemple de la Finlande où le modèle révèle un meilleur « retour sur investissement ». L’hiver comme l’été, « le moins cher reste de donner une chance à l’autonomie », résume Mathieu Angotti.

 

Flora Genoux

source : LeMonde.fr
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