Article de Catherine Rollot paru sur LeMonde.fr le 15 décembre 2011
La recommandation est suffisamment inhabituelle pour être soulignée. Dans un rapport d’évaluation sur « la politique publique de l’hébergement des personnes sans domicile », rendu public jeudi 15 décembre, la Cour des comptes, garante de la bonne utilisation des deniers publics, préconise, à mots feutrés, de mettre plus d’argent en faveur de l’hébergement d’urgence : « Il n’apparaît pas déraisonnable de se donner les moyens de créer des places (d’hébergement) supplémentaires en zones tendues. En effet, la situation traditionnelle et inconfortable dans laquelle l’offre d’hébergement court en permanence après la demande d’hébergement n’a pas été encore interrompue, malgré des résultats importants en termes de sorties vers le logement. »
Ce constat intervient à l’issue de près de 250 pages d’analyse de la « stratégie de refondation » du secteur annoncée en novembre 2009 par Benoist Apparu, secrétaire d’Etat au logement. Cette réforme a pour ambition de sortir d’une logique saisonnière de gestion de crise et de favoriser la sortie vers un logement durable. Elle s’appuie sur deux piliers : la mise en place d’un service public de l’hébergement et de l’accès au logement, et le développement d’une offre de logement accessible aux personnes modestes. Entre 2004 et 2010, le nombre de places est passé de 51 103 à 82 890 (+ 62,2 %). Mais le constat de la Cour est clair : « Les résultats escomptés ne sont pas encore atteints. »
Demandé par le président de l’Assemblée nationale, Bernard Accoyer, sur proposition du Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques du Parlement, le travail de la Cour pointe en filigrane les lacunes et blocages d’une politique dont l’objectif premier est le « logement d’abord ». Première faiblesse : la « stratégie de refondation » a été définie et mise en oeuvre à partir de données statistiques obsolètes et d’études fragmentaires sur la population des sans-abri. Or cette population a non seulement beaucoup augmenté en dix ans – elle avoisinerait aujourd’hui les 150 000 personnes -, mais elle s’est aussi profondément transformée. Selon un rapport à paraître de la Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale (Fnars), basé sur les statistiques annuelles du 115, le numéro d’urgence d’aide aux sans-abri, les demandes d’hébergement émanent désormais pour moitié de familles avec enfants. A Paris et en région parisienne, celles-ci peuvent représenter jusqu’à 80 % du public du 115. Quant aux jeunes, au niveau national, leur proportion est passée entre les hivers 2009-2010 et 2010-2011 de 8 % à 11 %.
La réforme n’a pas non plus permis d’améliorer l’orientation des personnes sans abri, jugée encore « très imparfaite » par la Cour des comptes. Les services intégrés d’accueil et d’orientation (SIAO), qui devaient permettre dans chaque département de mieux coordonner l’offre et la demande et de suivre les personnes dans leur parcours d’insertion dans le logement, fonctionnent peu ou mal. « Sur beaucoup de territoires, les SIAO ont bien été mis en place mais les anciennes habitudes de travail ont perduré, confirme Matthieu Angotti, directeur général de la Fnars. Dans le pire des cas, ce sont même des coquilles vides. »
Autre problème non résolu, celui de la saturation du 115. Toujours selon l’étude de la Fnars, plus de la moitié des demandes d’hébergement faites le jour même ne donnent pas lieu à l’attribution d’une place. Dans certains départements, les non-attributions peuvent même atteindre de 60 % à 65 %. L’absence de places disponibles est le principal motif de refus. Le recours aux nuitées d’hôtel ne cesse d’augmenter. Leur nombre a doublé depuis 2004. Or, souligne la Cour des comptes, cette solution « n’est pas conforme aux objectifs de la politique menée depuis 2007. Par ailleurs, leur coût pour le budget de l’Etat est particulièrement élevé (93 millions d’euros en 2010). » Le gouvernement a tablé un peu trop vite sur les résultats de sa réforme et sur les économies qu’elle pourrait engendrer. « Les mesures prises pour accélérer les sorties vers le logement sont longues à mettre en place et ne peuvent pas alléger à court terme la pression sur le dispositif d’hébergement », avertissent les experts de la rue Cambon.
La mise en oeuvre de la « stratégie nationale » laisse aussi apparaître des lacunes en termes d’organisation et de pilotage. » Le délégué interministériel pour l’hébergement et l’accès au logement (Dihal) chargé du pilotage administratif central ne dispose pas des moyens de sa mission », souligne la Cour. A la décharge de l’Etat, la Cour note que le déploiement de la réforme est intervenu dans une période difficile. La crise, qui a mécaniquement entraîné une augmentation forte des demandeurs d’hébergement (ménages précaires et demandeurs d’asile) a saturé un dispositif pourtant en forte augmentation. Enfin, au niveau local, le projet gouvernemental a souffert de la réforme concomitante de l’administration territoriale, qui a modifié l’organisation des services départementaux, principaux rouages de la mise en oeuvre du plan gouvernemental.