L’évolution de la prise en charge des victimes d’actes de terrorisme

 

Le terrorisme en France ne date pas des 7 janvier et 13 novembre 2015, mais tous les interlocuteurs s’accordent à dire qu’il y a eu un après : celui d’une prise en charge améliorée et suivie des victimes. De nouvelles mesures ont été adoptées qui ont permis une meilleure réactivité lors des attentats suivants, notamment celui du 14 juillet 2016 à Nice. Critiqué, repensé, défendu, le modèle français demeure l’un des plus performants en Europe.

Qu’est-ce qu’une victime de terrorisme ?

En matière de terrorisme, la prise en charge des victimes demeure une question complexe qui, au cours des dernières années, a été repensée, améliorée après avoir évolué lentement pendant plusieurs décennies. La question même du statut de victimes pose question. Qu’est-ce qu’une victime d’acte de terrorisme ? En 1986, après une vague d’attentats en France et sous la pression d’associations, notamment SOS Attentats, l’État créé le fonds de garantie des victimes d’actes de terrorisme et autres infractions (FGTI). Celui-ci est financé par une contribution nationale de solidarité prélevée sur les contrats d’assurance de biens (multirisques d’habitation, de voiture, de résidence secondaire, etc.). « Il en existe 80 millions en France. Et les assureurs versent 5,9 € sur chaque contrat pour le FGTI ce qui fait beaucoup d’argent (472 millions d’euros, ndlr). Jusqu’aux attentats de 2015, la proportion versée spécifiquement aux victimes d’actes de terrorisme correspondait à 2,5 %. Aujourd’hui, c’est 20 % du budget du FGTI, les 80 % restants étant attribués aux victimes d’infractions pénales de droit commun », explique Françoise Rudetzki, victime de l’attentat du Grand Véfour en 1983, et qui, en tant que citoyenne, a œuvré pour la création du fonds et de plusieurs lois à destination des victimes du terrorisme. Mais qui peut être indemnisé ? « Les victimes d’acte de terrorisme, blessées ou choquées, dès lors qu’elles se trouvaient au moment de l’attentat dans la zone de danger, et les proches des victimes décédées peuvent être indemnisées », décrit le fonds de garantie. La notion de « zone de danger » est apparue en septembre 2016. Pour les attentats de Nice du 14 juillet 2016, elle correspond à « toute la surface, le trottoir et la voie de circulation empruntés par le camion meurtrier », expliquait au micro d’Europe 1 Juliette Méadel, l’ancienne secrétaire d’État chargée de l’aide aux victimes sous Hollande. Suivant cette logique, le nombre d’indemnisés s’élève aujourd’hui à 3 000 personnes.

Cette définition exclut de manière générale les personnes présentes à l’extérieur de cette zone stricte et qui auraient notamment porté secours aux blessés. Les « primo-arrivants », comme les décrit Caroline Langlade, ex-présidente de l’association Life for Paris créée après les attentats du 13 novembre 2015. « Nous voudrions créer un statut pour ceux-là car ils n’ont actuellement droit à aucune indemnisation du fonds de garantie alors qu’ils développent eux aussi des maladies », explique celle-ci. Elle-même victime de ces attaques, elle a participé à la rédaction d’un rapport remis en mars 2017 qui analyse les droits européens des victimes de terrorisme et émet des préconisations. « Nous avons beaucoup travaillé sur la reconnaissance de la blessure psychique comme une blessure physique et souhaitions un statut unique pour que les familles des victimes soient indemnisées de manière égale, que celles-ci soient décédées ou non », dit-elle. Cela n’a pas été entendu à l’heure actuelle. D’un point de vue psychologique, elle constate, plus de deux ans après le Bataclan, une meilleure évolution des blessés pris en charge immédiatement que des autres victimes présentes sur les lieux. « Nous sommes rentrés chez nous après les faits et avons dû ensuite prouver notre statut de victime », précise-t-elle, comme le veut la procédure française d’indemnisation où la charge de la preuve incombe à la victime. Un processus différent donc, moins « automatique ».

La reconnaissance du statut de victimes par l’État

Aujourd’hui, le système s’est toutefois nettement amélioré. Le parquet du tribunal de grande instance (TGI) de Paris, qui a compétence pour tout acte de terrorisme sur tout le territoire national, envoie une liste des victimes et des circonstances de l’événement à ses relais tels le fonds et l’association Paris aide aux victimes (PAV). Mandatée par l’État, celle-ci assure l’écoute, l’accueil, l’information sur les droits, le soutien psychologique et l’orientation des victimes d’infractions pénales, de catastrophes collectives et d’accidents de la voie publique. Et celles qui n’ont pas été directement contactées par le fonds de garantie peuvent tout de même s’adresser à ces relais. « Une victime aujourd’hui ne peut plus affirmer s’être retrouvée toute seule. Car une personne sur la liste est automatiquement contactée, relancée », précise Carole Damiani, la directrice de l’association. « Pour ceux qui n’ont pas les droits reconnus (comme les primo-arrivants, ndlr), cela peut être difficile, ajoute-t-elle. Ils ne peuvent être reconnus comme victimes au sens judiciaire mais ils sont impliqués psychiquement. Donc ils peuvent avoir le sentiment d’une absence de reconnaissance. » Toutefois, d’autres aides que l’indemnisation par le FGTI peuvent leur être apportées. En particulier, ils peuvent être reçus gratuitement à l’espace d’information et d’accompagnement (EIA) des victimes d’actes de terrorisme, tenu par PAV. Initialement situé dans le IVe arrondissement de Paris, il vient d’être déplacé au 18 rue de Poliveau, dans le Ve. La structure a été inaugurée le 16 janvier dernier par Élisabeth Pelsez, déléguée interministérielle à l’aide aux victimes, en présence du procureur de la République de Paris François Molins, des représentants de la préfecture d’Île-de-France et de Colombe Brossel, adjointe au maire de Paris. L’EIA est un lieu qui centralise et coordonne toutes les démarches à effectuer pour les victimes du terrorisme (et des accidents collectifs depuis peu) : soutien psychologique, informations sur les droits, services de l’assistante sociale de la ville de Paris, indemnisation auprès du FGTI, démarches envers les services fiscaux, etc. Le référent terrorisme est en lien avec 31 partenaires. « On peut également, par le biais des dons faits gérés par la Fondation de France, trouver le moyen d’indemniser ces personnes même si ce n’est pas à la hauteur des autres victimes », assure la directrice de l’association.

L’autre grand progrès en matière de prise en charge des victimes concerne le développement des comités locaux d’aide aux victimes (CLAV) qui prennent en charge les victimes selon leur lieu de résidence. « À terme, l’idée, c’est qu’il y ait dans chaque département un comité local d’aide aux victimes, affirme Élisabeth Pelsez, la déléguée interministérielle de l’aide aux victimes. Ces instances locales permettent non seulement de décliner la politique nationale mais surtout de continuer à suivre les victimes dans la durée car les associations d’aide aux victimes font remonter les situations de ceux dont elles assurent la prise en charge. » Et les représentations d’associations d’aides aux victimes font remonter les situations de leurs adhérents pour une meilleure prise en charge ». Une circulaire va être rédigée par la délégation pour expliquer le fonctionnement de ces comités, les bonnes pratiques. Par exemple, la déléguée suggère qu’ils développent chacun un schéma départemental d’aide aux victimes, un annuaire de tous les référents sur le département. Toutefois, ces comités, à l’origine créés pour les seules victimes d’attentats, se sont étendus, avec le décret du 25 avril 2017, à toutes les victimes d’infractions pénales. « Mais ils peuvent se consacrer prioritairement aux attentats s’il s’en produit de nouveaux », nuance la déléguée.

La somme des préjudices des victimes du terrorisme

« Il est légitime de faire une hiérarchie entre les victimes, soutient Éric Morain, avocat d’une trentaine de victimes d’actes terroristes. C’est juste de la faire parce qu’on ne peut pas tout mélanger si on veut aboutir à une indemnisation intégrale des préjudices subis. » En l’occurrence, ils sont de plusieurs ordres. Le fonds de garantie est chargé d’assurer la réparation intégrale des dommages résultant d’une atteinte à la personne. À ce titre, il indemnise les préjudices physiques, moraux et économiques ainsi que le préjudice exceptionnel spécifique des victimes du terrorisme (au même titre qu’il existe un préjudice spécifique de contamination pour les personnes qui ont contracté le VIH après une transfusion sanguine). Toutefois, le fonds a décidé qu’à l’avenir, si de nouveaux attentats se produisaient, ce préjudice ne s’appliquerait qu’aux seules victimes directes des attentats, et pas à leurs proches. « C’est une mesure qui ne concerne pas les dossiers en cours : pour les attentats passés, le préjudice psychologique exceptionnel spécifique des victimes du terrorisme (PESVT) continuera à être versé », a insisté le directeur du fonds.

Par ailleurs, en novembre 2016, un livre blanc a été réalisé immédiatement après les attentats par les avocats du barreau de Paris pour faire reconnaître les préjudices d’angoisse des victimes directes (qui ont attendu sur place qu’on vienne les secourir, parfois en vain) et d’attente des proches (qui ont cherché à obtenir des nouvelles de la victime pendant parfois plusieurs jours). Ceux-ci ont été reconnus par le conseil d’administration du FGTI en septembre dernier. Le premier sera établi par un expert médical pour les blessés, présumé pour les personnes décédées. Son montant s’élèvera entre 5 000 et 30 000 €. Le second sera compris entre 2 000 et 5 000 €. Enfin, la loi du 23 janvier 1990 a accordé le statut de victimes civiles de guerre à celles du terrorisme. Elle a aussi accordé aux enfants, dont l’un des parents a été victime d’un attentat terroriste, le statut de pupille de la nation. Il s’agit d’un soutien moral et financier adapté à la situation familiale de chacun pouvant inclure par exemple une prise en charge totale des frais de scolarisation en cas d’insuffisance des ressources de la famille. C’est l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre (ONAC-VG) qui gère cette mission pour le compte de l’État. Lui aussi qui prend le relai des indemnisations classiques du FGTI. « Cela peut être ad vitam aeternam. Par exemple, un jeune de 18 ans présent au Bataclan qui abandonne ses études parce qu’il va trop mal pourra avoir une aide de l’ONAC-VG dix ans plus tard s’il veut reprendre des études en expliquant qu’il a subi une perte de chance », explique Carole Damiani de Paris aide aux victimes.

L’indemnisation en cause

Concernant le montant de l’indemnisation, les avis sont partagés. Pour Éric Morain, c’est largement insuffisant : « il n’y aurait pas des sommes délirantes à ajouter pour un État comme la France. “J’ai perdu ma vie entière et on m’offre l’équivalent d’un 4×4”, m’a dit une cliente au sujet de son indemnisation. La République se déshonore en étant dans le pinaillage ». Et d’évoquer le cas de la fille d’une victime de l’attentat du 14 juillet 2016 à Nice qui avait réclamé l’indemnisation d’un préjudice économique au motif que sa mère gardait quotidiennement ses enfants, ce qui la soulageait humainement et financièrement. « Selon la nomenclature, ce préjudice est constitué pour la famille proche du défunt dépendant directement des revenus de celle-ci. Mme X qui n’était pas à la charge financière de sa mère ne subit pas de perte de revenus. En outre, la jurisprudence retient que l’obligation d’entretien à l’éducation des enfants incombe aux parents et ne saurait constituer un préjudice indemnisable y compris dans le cas où un tiers qui y contribuerait cesse de le faire », envoie par courrier le FGTI. « Cette froideur administrative est perçue par cette victime comme une gifle », assure l’avocat. Elle a reçu une offre globale de 37 500 € par le FGTI dont 3 000 € au titre du préjudice d’affection, 7 500 € pour le préjudice exceptionnel spécifique. « C’est le prix de votre mère morte dans un attentat écrasée par un camion », lâche-t-il. S’il reconnaît qu’« on a fait beaucoup pour l’accueil des victimes », l’avocat déplore le fait que décliner l’offre faite par le fonds revienne à ester en justice contre ce dernier. Mais selon lui la responsabilité est celle de l’État, qui malgré « de beaux discours » au moment des commémorations aux Invalides, ne donne pas d’« impulsion », de « signal fort ». « La loi française sur l’indemnisation est unique au monde, tempère Françoise Rudetzki, membre du conseil d’administration du FGTI. Le fonds se base sur la jurisprudence la plus favorable. Quant aux courriers, nous travaillons à améliorer leur rédaction. » Elle précise que le fonds a « toujours versé un solde positif », un complément financier aux victimes binationales d’attentats commis à l’étranger « parce que la France a un taux d’évaluation supérieur à tous les autres pays ». « Si ce n’est pas digne comme indemnisation alors pourquoi trouve-t-on si peu de recours devant le TGI de Créteil (dont dépend le siège du FGTI, ndlr) ?, interroge-t-elle. Nous avons à peine une vingtaine de décisions et celles-ci diffèrent très peu de ce que nous proposons. » Carole Damiani de l’association PAV confirme cette version. « Le système indemnitaire français est quasiment le plus performant au monde. Nous avons reçu 1 800 victimes et relativement peu d’entre elles sont insatisfaites de l’indemnisation. On peut toujours se battre et ouvrir de nouveaux droits mais attention, la réparation n’est pas que l’indemnisation et celle-ci ne règle pas tout. Dans le système belge, par exemple, ce sont des forfaits qui ne représentent pas, dans certains cas, un dixième de ce qu’une victime française peut recevoir pour des attentats. »

Me Morain déplore le versement d’un chèque comme compensation de la perte d’une vie et souhaiterait des montants échelonnés sur plusieurs années pour toutes les victimes indemnisées à l’image des pensions d’invalidité « versées par l’État à ses fonctionnaires, aux victimes de guerre ». « Le principe de la réparation intégrale n’est pas de dire que la personne disparue vaut tel prix, le préjudice psychologique ne se répare pas ainsi, tonne Carole Damiani. C’est le sens d’une solidarité et il appartient aux avocats et aux interlocuteurs des victimes de leur expliquer le sens de l’indemnisation. »

L’évolution de la situation des victimes et leur reconnaissance

Par ailleurs, les situations personnelles, psychiques et matérielles, des victimes et leurs proches évoluent au fil des années. En l’occurrence, pour les victimes du 13 novembre 2015, la question de la reconversion professionnelle a été au cœur des débats des derniers mois. Un nombre important d’entre elles a été incapable, physiquement, moralement, de poursuivre, à long terme, sa vie professionnelle passée, retrouver la place qu’elles occupaient auparavant. Consciente de cet enjeu, la délégation interministérielle de l’aide aux victimes a engagé des cycles de tables rondes depuis octobre sur le sujet et signé le 1er décembre 2017 une convention avec Pôle emploi pour favoriser le retour vers l’emploi de celles-ci avec la désignation de référents territoriaux au sein des agences locales, formés à l’accueil et l’orientation de ces usagers spécifiques. Mais parfois, les conséquences du terrorisme sur les personnes qui l’ont subi peuvent se révéler beaucoup plus tardivement. Et dans ces cas-là, il peut être sollicité un recours en aggravation. « Nous avons reçu il n’y a pas très longtemps une victime des attentats de 1995, commente la présidente de l’association PAV. C’est maintenant qu’elle se manifestait pour dire que ça n’allait pas. Les troubles existaient mais ne semblaient pas invalidants car cette personne luttait, tentait de les contenir. À un moment, ça n’a plus été possible. » La personne a donc été reçue par un psychologue plus de vingt ans après les faits. « Nous avons fait valoir son incapacité à faire valoir ses droits en raison de son état psychique, avec certificats médicaux, attestations psychologiques. Et lui obtenir une indemnisation très longtemps après. Je ne dis pas que c’est facile, plus on va s’éloigner plus ce sera compliqué, mais c’est possible », tient-elle à signaler.

Nouvelles mesures dans la prise en charge

Comme son prédécesseur, Élisabeth Pelsez, la déléguée interministérielle de l’aide aux victimes, souhaite la création d’une juridiction spécialisée dans l’indemnisation des victimes avec une jurisprudence compréhensible. Une mission sur le projet a été confiée à une ancienne présidente de cour d’appel. « Ça a l’air de rassurer tout le monde qu’un juge homologue les propositions du FGTI mais il a une réactivité que l’État n’aura jamais. Nous sommes capables en huit, dix jours de verser des provisions aux victimes. Je ne voudrais pas que le fonds se transforme en simple tiroir-caisse », proteste Françoise Rudetzki. L’avocat Éric Morain, lui, souhaiterait séparer la question des victimes d’actes de terrorisme de manière générale de toutes les autres infractions pénales pour souligner la spécificité de cette infraction. Il prône notamment la création d’un fonds de garantie propre. À l’été 2017, il était l’une des voix opposées à la suppression du secrétariat général de l’aide aux victimes crée sous Hollande et incarné pendant deux ans par Juliette Méadel, dont l’efficacité a été reconnue par tous. Face au tollé, le gouvernement annoncera donc la création d’une délégation interministérielle de l’aide aux victimes. Gros bémol pour l’avocat dont l’un des associés a lui-même été délégué interministériel : « ils sont tiraillés entre des contraintes budgétaires et plusieurs ministères qui se tirent un peu dans les pattes. C’est forcément un peu compliqué. Élisabeth Pelsez fait un travail au long cours sur les violences faites aux femmes et c’est heureux mais le travail d’un délégué interministériel aux victimes, c’est de s’occuper de trop de victimes différentes ».

En l’occurrence, celle-ci rappelle qu’un plan interministériel concernant l’ensemble des victimes a été adopté le 10 novembre dernier, validé par le premier ministre, pour « améliorer la prise en charge » et « favoriser un suivi des victimes dans la durée ». « C’est aussi le sens de mon action que prendre des mesures assurant un suivi », souligne-t-elle. Concernant les victimes du terrorisme spécifiquement, « l’accent a été mis sur l’amélioration de la prise en charge psychologique afin que le stress post-traumatique (SPT) qu’elles peuvent ressentir, parfois des années après, puisse être repéré et pris en charge », rapporte la déléguée interministérielle. C’est tout particulièrement l’enjeu du centre national de ressources et de résilience dont Élisabeth Pelsez a annoncé la création pour le deuxième semestre 2018. Il fait suite au rapport remis à François Hollande en février 2017 par Françoise Rudetzki, laquelle, après avoir été reçue par les conseillers d’Emmanuel Macron, n’en sait actuellement pas plus sur le projet. « J’imaginais un organisme qui centralise toutes les expériences sur le SPT », dit-elle. L’idée développée par la militante était de labelliser les psychologies proposées aux victimes « pour ne pas imposer des soins déviants car certains se revendiquent spécialistes du SPT sans l’être ». Par ailleurs, il semble opportun de partager les études et expériences en la matière en sensibilisant tous les professionnels et intervenants qui peuvent avoir affaire à une victime. « On s’est rendu compte que certains médecins du XIe arrondissement au moment des attentats du 13 novembre ne savaient pas comment faire à part prescrire des anxiolytiques », remarque la fondatrice du FGTI. « La vocation du centre sera de rassembler la recherche effectuée en matière de prise en charge du stress post-traumatique, notamment celle effectuée après les attentats du 13 novembre 2015 et de juillet 2016 sur les victimes », avec en effet l’idée de « développer des modules de formation pour l’ensemble du corps médical », souligne Élisabeth Pelsez.

Les axes d’amélioration depuis 2015

De manière générale, tous les acteurs de la prise en charge de l’aide aux victimes d’actes terroristes, même les plus critiques, se félicitent de la nette amélioration opérée par les pouvoirs publics depuis les attentats de 2015. Françoise Rudetzski, qui œuvre depuis trente-cinq ans pour structurer le système et faire passer des lois en la matière, explique : « En 1983 [au moment de l’attentat du Grand Véfour dont elle sort grièvement blessée, ndlr], il n’existait pas de prise en charge par l’État à part les soins médicaux, et encore. Pour les grands brûlés qui devaient porter des vêtements compressifs, ce n’était pas remboursé à 100 %. Les soins psychologiques étaient inexistants. Nous sommes partis de zéro, y compris pour l’indemnisation ». Selon Carole Damiani, « le premier changement s’est opéré avec les attentats de 1995. Il y a eu un déploiement de moyens qu’il n’y avait pas eu auparavant. Mais tout s’est joué sur l’immédiat, le post-immédiat et rien après. Au moment des attentats du Bataclan, et cela avait commencé à émerger avec les attentats contre Charlie Hebdo, il y a eu le souci du long terme ». Une secrétaire d’État chargée des droits des victimes, Nicole Guedj, avait déjà été nommée en mars 2004. Celle-ci avait permis la création de guides de l’aide aux victimes mais leur diffusion était demeurée à une échelle confidentielle. « On s’est appuyés dessus en 2015 mais il a fallu les retravailler », précise la directrice de PAV qui souligne qu’à partir de cette date, et avec la naissance du secrétariat général de l’aide aux victimes, les dispositifs se sont développés avec une coordination forte et des réunions de travail régulières avec l’ex-garde des Sceaux, Christiane Taubira. « Nice a permis d’affiner le dispositif. Aujourd’hui, c’est toujours perfectible mais cela fonctionne bien. » Affiner ? « Oui, à Paris, c’était compliqué au départ parce que l’espace d’accueil pour les familles à la recherche de leurs proches n’était pas protocolisé. Celles-ci l’ont beaucoup critiqué car elles ont eu des difficultés à avoir de l’information, ont vécu parfois une longue attente. À Nice, les personnes venaient sur rendez-vous quand il y avait une certitude, il y avait déjà un encadrement. » Par ailleurs, la délégation interministérielle mène avec plusieurs ministères un projet de système d’information sur les victimes d’attentats et de catastrophes (SIVAC) depuis début 2017 et qui « devrait être opérationnel en 2019 », espère Élisabeth Pelsez. « Il permet l’interfaçage entre différents systèmes informatiques de recensement des victimes quand il y a des événements collectifs importants, explique-t-elle. Le but est de les dénombrer de manière très fiable et permettre leur prise en charge plus rapidement. Par exemple, les associations d’aide aux victimes et des organismes comme la Caisse nationale d’assurance maladie y auront accès et pourront connaître les identités des victimes, leur lieu de résidence et actionner l’aide aux victimes beaucoup plus rapidement. »

Les chantiers à venir

Pour Françoise Rudetzki, il reste encore du travail à faire. « Les associations sont importantes mais elles doivent être épaulées par de vrais professionnels. Certaines ont été montées par des gens traumatisés et on peut se demander dans quelle mesure on peut aider tout en étant victime soi-même », argumente-t-elle. Ex-présidente de Life for Paris, association créée après le 13 novembre 2015, Caroline Langlade, rescapée du Bataclan y a vu, elle, une expression de solidarité. En aidant les autres, elle assure s’être aidée elle-même. « Ce n’est pas parce qu’on sort vivant du 13 novembre qu’on va sortir vivant du traumatisme de l’après. Nous avons dû gérer depuis des tentatives de suicides, scléroses en plaques, maladie de Crohn, crises cardiaques. Certains n’en sont pas sortis vivants. » Sur son action : « pendant deux ans, je n’ai jamais autant travaillé de ma vie. Je dormais quatre heures par nuit et j’étais mobilisée sept jours sur sept. Au total, je me suis occupée de 750 personnes ». Elle ajoute : « nous sommes partis tous les quatre (de la direction, ndlr) parce que le travail d’urgence avait été fait. Il était temps de s’occuper de nous-mêmes ». Aujourd’hui, elle souhaite un renforcement des moyens des administrations (ONAC-VG, services médicaux, hôpitaux spécialisés en psychiatrie, services des impôts – lesquels ont fait des démarches pour les victimes qui, dépassées par les évènements, n’ont pas payé leurs impôts –, etc.). Celles-ci ont dû faire face au flux continu des demandes, sans effectifs ni budgets supplémentaires souligne la jeune femme. « En Île-de-France, seuls cinq médecins de la sécurité sociale sont formés au SPT », lance-t-elle en exemple. Celle-ci vient de publier un livre sur son expérience, Sortie de secours, aux éditions Robert Laffont. « J’en profite pour continuer à faire passer des messages, dit-elle. Par exemple insister sur la reconnaissance des souffrances endurées par le personnel intervenant qui s’est retrouvé débordé et la création d’un statut pour les primo-arrivants. » Elle assure que la France n’a pas connu « l’attentat de masse » pourtant évoqué comme tel. Selon elle, cette définition correspond davantage à celui du 11 septembre 2001 aux États-Unis. « L’État doit mettre les moyens nécessaires parce qu’on sait que ça peut arriver », conclut-elle. Pour Françoise Rudetzki, la France n’est pas encore prête à organiser des procès pour ces attentats. Ceux du Bataclan devraient intervenir vers 2020. « Je demande à voir », dit-elle. « Nous n’avons pas de salles d’assises sécurisées. Il faut imaginer un lieu où l’on puisse installer des milliers de parties civiles et tout cela exige un dispositif de sécurité incroyable, on l’a vu avec le procès de Salah Abdeslam en Belgique [ouvert le 5 février 2018, ndlr]. » L’un des autres chantiers à venir est la construction d’une politique européenne et internationale de l’aide aux victimes. C’est le quatrième axe du plan interministériel adopté par le gouvernement français en novembre et la déléguée Élisabeth Pelsez multiplie les déplacements en Europe à ce sujet et pour présenter le système de prise en charge français « très intéressant pour de nombreux pays », précise-t-elle.

Carole Damiani tient à rester optimiste. « Le temps psychologique n’est pas le temps politique ni le temps judiciaire, précise-t-elle. Un procès n’a pas vocation à être thérapeutique mais c’est une étape importante dans le processus de réparation. Il a une fonction sociale d’apaisement. Le soin psychologique s’effectue sur la scène intime et non pas sur la scène publique qui est celle du procès, des commémorations symboles de la solidarité collective et de la reconnaissance sociale. Les deux sont complémentaires. » Et d’ajouter : « au cours de ce cheminement personnel, on peut faire un travail de renoncement, redevenir un sujet, un citoyen qui a vécu une rencontre avec le réel de la mort ou un deuil particulièrement tragique mais qui n’est pas réduit à un “statut” ou une identité de victime ou de traumatisé. Ce n’est pas oublier, il restera toujours un souvenir mais qui ne détruit plus. On n’est pas victime toute sa vie ».

par Anaïs Coignac, le 5 mars 2018

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