La ministre de la justice Christiane Taubira devrait s’exprimer le 29 juin sur les rencontres entre auteurs et victimes, à l’occasion des assises nationales de l’Institut national d’aide aux victimes et de médiation (Inavem).
Fréquentes dans les pays adeptes de la « justice restaurative », ces rencontres pourraient se multiplier en France.
Une première expérimentation a été menée à la maison d’arrêt de Poissy (Yvelines). Témoignages.
Marie-Josée, Annie, Geneviève, Victor, Wilfried et Xavier n’ont rien en commun. Tout les oppose, même. Les trois premières ont perdu un proche assassiné. Les trois autres ont été condamnés pour meurtre, dans des affaires différentes de celles impliquant les trois victimes. Rien ne les prédestinait à faire connaissance. Et pourtant. Une expérimentation, menée à partir de la mi-2010 à la maison d’arrêt de Poissy (Yvelines), les a amenés à se rencontrer et à échanger sur leur histoire, sur la cruauté du passage à l’acte, sur la souffrance indélébile des endeuillés, sur le cheminement en prison, etc. Conformément à la « justice restaurative » née au Canada il y a une trentaine d’années, ces rencontres ont trois objectifs : la réparation pour la victime, la réinsertion pour le coupable, et le rétablissement de la paix sociale.
« Montrer à des meurtriers la douleur infinie »
C’est dans cette optique qu’Annie Guizel s’est portée volontaire. « Au départ, j’ai hésité, reconnaît cette mère de famille endeuillée par la perte de sa fille. J’avais peur que ça réactive toutes mes souffrances. Mais je voulais aussi montrer à des meurtriers la douleur infinie que peut causer la mort d’un proche et, surtout, les encourager à prendre un autre chemin. » C’était sa manière à elle de lutter contre la récidive. « Si l’un de ces condamnés est un jour tenté par la récidive, j’espère qu’il pensera à nous. Qu’ils penseront à notre souffrance à toutes les trois. »
« Je n’oublierai jamais leur expression »
Les condamnés semblent en avoir pleinement pris la mesure. « Les visages des victimes m’ont tout de suite touché, explique Wilfried (NDLR : les prénoms des détenus ont été modifiés N’ayant pas l’autorisation d’être interviewés, les trois détenus ont écrit leurs propos sur papier. Ils seront publiés par L’Harmattan dans les jours à venir) . Ils étaient marqués par la souffrance, je n’oublierai jamais leur expression. J’avais un fort sentiment de culpabilité et de honte en réalisant ce que je voyais. » Son codétenu Victor renchérit : « J’ai pris conscience pas seulement de ce que j’ai fait, mais du mal que ça a fait. Maintenant, je vis dans le monde des conséquences. »
« Je m’en suis pris plein la tête »
Les séances se sont révélées éprouvantes, plus encore que prévu. Et ce, de part et d’autre. « Je m’en suis pris plein la tête », assure Xavier. « Heureusement que plusieurs semaines s’écoulaient entre les rencontres, il nous fallait le temps de nous remettre ! », confirme, du côté des victimes, Marie-Josée Boulay. Avec le temps toutefois, elle concède avoir retiré de ces échanges un profond apaisement. « Avant, je ne cessais de m’interroger sur les raisons du passage à l’acte. Or, en échangeant avec les condamnés, j’ai réalisé qu’eux-mêmes souvent n’avaient pas les réponses à mes questions. Un jour, l’un d’eux m’a même dit : “Cela ne sert à rien de vous torturer, nous-mêmes on ne sait pas.” J’avais sans doute besoin d’entendre cela. Depuis, ces questions ne m’obsèdent plus. Une page s’est tournée. »
« Être considéré comme un être humain »
Du côté des détenus aussi, l’impact émotionnel a été de taille. « Le fait qu’on s’adresse à eux sans violence et sans haine les a visiblement bouleversés », analyse Annie Guizel. Xavier confirme : « Au début, il y a eu des phases compliquées lors des échanges, à la fin, il y avait de l’affection. » Victor est ressorti de ces rencontres avec une autre image de lui : « Vis-à-vis des gens qui ont participé à cette épreuve collective, je peux dire que certains m’ont rassuré. Il est important malgré la gravité des faits d’être considéré comme un être humain. »
Va-t-on passer de l’expérimentation à la mise en œuvre ? François Hollande y est favorable, lui qui avait déclaré en avril vouloir autoriser ce type de rencontres pour « permettre aux détenus de prendre conscience de la portée de leur geste et, pour les victimes, de trouver un apaisement ». Reste à bien choisir les participants : tous les détenus ne s’inscrivent pas dans une démarche constructive et toutes les victimes ne sont pas prêtes à échanger pacifiquement avec un condamné. Aux dires d’Annie Guizel, « il faut laisser passer des années pour comprendre l’utilité de tels échanges, pour comprendre qu’il s’agit, en fait, de la rencontre de deux souffrances différentes ». Et de conclure : « Ce dialogue n’efface d’ailleurs ni l’une ni l’autre. »
MARIE BOËTON