La réforme pénale portée par Christiane Taubira a été adoptée dans la nuit de jeudi à vendredi à l’Assemblée. Elle prévoit de créer une nouvelle sanction — la peine de probation — et de supprimer les peines planchers. Elle aborde aussi, plus discrètement, un autre enjeu: le sort judiciaire des récidivistes.
Le rapporteur socialiste du texte à l’Assemblée, Dominique Raimbourg, et la commission des lois ont amendé le texte du gouvernement pour aligner les aménagements de peine des récidivistes sur ceux des autres délinquants. Technique? Oui, mais aussi révélateur d’une question bien plus profonde qui traverse la justice, depuis dix ans surtout: faut-il être plus sévère avec les récidivistes ?
SANCTIONS DOUBLÉES DÈS 1791
La loi réserve des peines aggravées pour les récidivistes depuis bien longtemps. Dès 1791, le législateur prévoit la possibilité de doubler les sanctions encourues en cas de récidive — le principe subsiste dans le code pénal actuel, même si les modalités ont évolué. «La condamnation en récidive a également un impact sur les réductions de peines, sur les permissions de sortie, sur les libérations conditionnelles, sur l’accès au sursis avec mise à l’épreuve…», énumère Virginie Gautron, professeur de droit pénal à l’université de Nantes.
Car après tout n’est-il pas normal de condamner plus sévèrement un homme qui persiste dans la faute? Comme toute remarque apparemment de bon sens, cette assertion doit pourtant être discutée.
D’une part parce qu’en droit, la récidive est une notion bien plus complexe que dans le langage courant. «Pour qu’il y ait « récidive légale », explique Virginie Gautron, la personne doit avoir été condamnée définitivement pour une première infraction (qu’on nomme premier terme), et en commettre une nouvelle (second terme) dans des conditions définies par la loi.» Ces conditions varient en fonction des crimes et délits et des conditions dans lesquels ils sont commis: la loi distingue la récidive «perpétuelle» de la récidive «temporaire» (dans ces dossiers, le juge ne peut retenir la récidive que lorsque le second délit est commis dans un certain délai après le premier), la récidive «générale» de la récidive «spéciale» (la seconde infraction doit être identique à la première pour constituer une récidive au sens légal)…
LE RÉITÉRANT N’EST PAS FORCÉMENT UN RÉCIDIVISTE
Légalement, donc, la récidive se distingue du «concours d’infractions»: «Une personne commet un vol le lundi. Un autre le mercredi, il est interpellé puis condamné pour les deux faits, qui ne constituent alors pas une récidive légale», éclaire Virginie Gautron. Elle diffère aussi de la «réitération»: «Une personne, déjà condamnée par une juridiction, est à nouveau sanctionnée mais pour des faits qui ne rentrent pas dans la définition de la récidive légale.» Ainsi un assassin déjà condamné pour escroquerie, n’est pas un récidiviste. Il est réitérant. «En matière correctionnelle, se focaliser sur la récidive n’a pas de sens, estime le socialiste Dominique Raimbourg. En 2010, il y a eu 52 993 condamnations en état de récidive, contre 134 797 pour les réitérants. On isole les récidivistes pour qui on aggrave les sanctions alors que des réitérants peuvent avoir commis des faits plus graves.»
L’autre raison est plus politique. Ces dix dernières années, le droit s’est adapté aux discours: le récidiviste est devenu en France l’une des figures récurrentes de la «dangerosité», un concept récent dans les textes juridiques, qui a contribué à durcir les peines. Du côté de la droite surtout, mais pas seulement : on a pu constater cette semaine qu’un gouvernement de gauche intitulait sa réforme pénale «loi relative à la prévention de la récidive» et non «à la prévention de la délinquance».
ACCUMULATION DE TEXTES
Le législateur a donc marqué un intérêt tout particulier pour le récidiviste – notamment depuis la loi du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénales. De textes en textes, les mesures le sanctionnant plus sévèrement se sont accumulées.
Au moment de la condamnation tout d’abord : votées en 2007, les «peines planchers» votées en 2007 imposent ainsi des sanctions minimales pour les récidivistes – les juges peuvent toutefois les contourner en motivant leur décision, ce dont ils ne se sont pas privés. La réforme pénale discutée à l’Assemblée — et qui attend désormais son examen au Sénat — supprime ces peines planchers.
Même distinguo entre récidivistes et autres délinquants pour les aménagements de peine. Depuis la loi pénitentiaire de 2009, les juges d’application des peines peuvent muter les peines inférieures ou égales à deux ans de prison en travaux d’intérêt général, en placement sous surveillance électronique ou en semi-liberté etc. Mais pour les récidivistes, ce seuil est abaissé à un an.
La définition de la «récidive légale» a elle-même été élargie: certains types d’infractions peuvent désormais être assimilés et donc constituer plus aisément une récidive spéciale.
«Depuis une dizaine d’années, la récidive est de plus en plus retenue par les magistrats, du fait des changements législatifs mais aussi des pratiques judiciaires, poursuit Virginie Gautron. Il y a vingt ans, les classements sans suite étaient beaucoup plus nombreux. Aujourd’hui le taux de réponse pénale tourne autour des 90% ce qui, mécaniquement, accroît les condamnations et donc la récidive. L’abandon des amnisties des infractions routières va dans le même sens. Tout cela alimente artificiellement les chiffres de la récidive.»
Et aggrave donc les peines. La juriste a participé à une grande étude dans l’ouest de la France (1). Il en ressort qu’en 2009, 14,5% des prévenus jugés étaient récidivistes, au sens légal, contre 5,7% en 2000. Et 75% des récidivistes (hors infraction routière) de l’échantillon avaient été condamnés à de la prison ferme, contre 15% pour les non récidivistes.
A l’occasion de la réforme pénale, les députés socialistes de la commission des lois ont voulu harmoniser, en partie, la situation juridique des récidivistes et celle des autres délinquants. Le projet initial du gouvernement abaissait les seuils, adoptés en 2009, en deça desquels les juges pouvaient aménager les peines de prison: seules les peines de prison de moins d’un an auraient pu être aménagées, six mois pour les récidivistes. Les députés ont tranché, jeudi, autrement: ça sera un an pour tous (et jusqu’à deux ans en cas de cumul de condamnations). L’article 7 adopté jeudi à l’Assemblée prévoit que les récidivistes bénéficient désormais du même système de calcul des réductions de peines que les non-récidivistes, et que les personnes incarcérées puissent voir le reliquat de leur peine aménagée, quand il est inférieur ou égal à 2 ans, qu’elles soient récidivistes ou non.
A travers ces amendements techniques, ce sont deux conceptions de la peine qui s’opposent. A gros traits: à droite, la logique de la dissuation et de «l’escalier». Si un délinquant récidive, c’est que la précedente sanction n’a pas été assez sévère. Il faut donc atteindre un cran de plus. A gauche, celle de l’accompagnement progressif vers la liberté et la réinsertion dans la société. Les aménagements de peines comme la libération conditionnelle permettent d’éviter les «sorties sèches» de prison, de contrôler et d’ accompagner les condamnés, à l’extérieur, jusqu’à la fin de la peine qu’il purgerait sinon entre quatre murs. «Or les récidivistes sont souvent les plus désinserrés, ceux qui ont le plus besoin d’un suivi si on veut éviter leur récidive», selon Dominique Raimbourg.
(1) Les conclusions de cette passionnante étude ont été publiés aux Presse universitaires de Rennes: «La réponse pénale, dix ans de traitement des délits», coordonné par Jean Danet.