Article paru sur Libération.fr le 8 novembre 2011
Les procureurs de la République, dans une démarche sans précédent, ont attiré « solennellement » jeudi l’attention sur « la gravité de la situation des parquets » français, en termes de statut, de moyens et d’insécurité juridique.Lors d’une conférence de presse au palais de justice de Paris, la Conférence nationale des procureurs de la République (CNPR) a présenté une « résolution » signée par les trois quarts des procureurs de France (126 sur 163).Les signataires sont donc nettement plus nombreux que les quelque 70 adhérents de cette association, créée il y a une dizaine d’années pour porter la parole des procureurs, a précisé son président, Robert Gelli.
Cette mobilisation est révélatrice du « malaise profond » de la justice, ont réagi le Syndicat de la magistrature (SM, gauche) et le socialiste André Vallini, chargé de la justice dans l’équipe de campagne de François Hollande.Dans son texte, la CNPR « appelle solennellement l’attention » du législateur, du gouvernement et de l’opinion publique « sur la gravité de la situation dans laquelle se trouvent aujourd’hui les parquets et l’urgence de leur donner les conditions d’exercer dignement leurs nombreuses missions ».Ces « conditions » sont en premier lieu une « restauration de l’image de la fonction de procureur », entachée du « soupçon de dépendance à l’égard du pouvoir exécutif ».Pour cela, le rôle du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) dans la nomination des magistrats du parquet doit être « plus important », avec un avis « conforme » (contraignant) et non plus seulement consultatif, a précisé Gelli.
Cette réforme avait déjà été réclamée il y a un an par la CNPR, qui ne remet toutefois pas en cause le fait que le ministre de la Justice soit « à l’initiative » des propositions de nomination des procureurs.Se félicitant de la résolution « historique » des procureurs, l’Union syndicale des magistrats (USM, majoritaire) a également jugé urgente une « réforme constitutionnelle » pour « renforcer l’indépendance du parquet ».
Autre revendication des procureurs: remédier à « l’insécurité juridique » découlant de « l’avalanche de lois » qui « manquent parfois de cohérence », ou sont même « contradictoires ». Il faut une certaine « stabilisation normative », a souhaité Robert Gelli. Enfin, a-t-il ajouté, les parquets ont besoin de « moyens humains, matériels et financiers ».En tant que procureur de Nîmes, « j’ai des angoisses, parce que je sais qu’un certain nombre de dossiers ne sont pas traités tout de suite », a-t-il déclaré. « Et si demain une personne est tuée, qu’allez-vous dire ? (…) Vous direz : si on avait traité cette affaire, cela ne serait pas arrivé! »
Une étude a montré en 2008 que « le procureur français était en Europe investi des charges les plus lourdes et doté, pour les assurer, des moyens les plus faibles », est-il mentionné dans la résolution.Il y a en France trois procureurs pour 100.000 habitants, pour une moyenne européenne de 10,4, a précisé Gelli.Le garde des Sceaux Michel Mercier « connaît les conditions difficiles dans lesquelles les parquets excercent leurs missions », a assuré le porte-parole du ministère Bruno Badré, tout en soulignant que le budget de la Justice était le seul en hausse. « Les effectifs des parquets des TGI sont passés d’un peu moins de 1.100 en 2001 à près de 1.500 en 2011 », a-t-il également indiqué.Quant au statut du parquet, la Chancellerie juge « indispensable le lien hiérarchique, pour garantir une application uniforme de la loi pénale sur l’ensemble du territoire ». L’actuel ministre n’en a pas moins « systématiquement suivi les avis du CSM », a rappelé le porte-parole.