Article publié le 11/01/2011 sur lefigaro.fr
Les procureurs réclament une réforme pour que leur nomination soit moins liée à la Chancellerie.
Le premier procureur de France en personne a donné le ton : le statut des magistrats du parquet, ces magistrats placés sous l’autorité du garde des Sceaux, a-t-il lancé vendredi, devant une assemblée composée de la plus haute hiérarchie judiciaire, est «maintenant proche d’un état de coma dépassé».
Pour «extraire le venin de la suspicion» qui entache l’action des procureurs, Jean-Louis Nadal estime impératif «de couper tout lien entre l’échelon politique et le parquet pour ce qui concerne les nominations».
Traditionnellement, l’audience de rentrée solennelle de la Cour de cassation, au cours de laquelle son procureur général s’exprimait, donne le la, en début d’année. Ce soir, les hauts responsables de la cour d’appel de Paris prendront à leur tour la parole devant l’ensemble du monde judiciaire parisien. Connu pour son sens de la mesure, le procureur général de Paris, François Falletti, devrait redire qu’il pense, lui aussi, nécessaire de renforcer la confiance de l’opinion publique dans le système judiciaire en augmentant les garanties d’indépendance des quelque 2 000 magistrats dits du «parquet» – par opposition à ceux du «siège», qui statuent. Dans les jours à venir, la situation des procureurs va encore occuper une bonne partie des audiences de rentrée (forme de cérémonies de vœux) à travers les palais de justice de l’Hexagone…
Le ver est donc entré dans le fruit. À la fin de l’année dernière, la Cour européenne des droits de l’homme, suivie par la Cour de cassation, a asséné, à propos de décisions concernant la garde à vue, que «le parquet n’est pas une autorité judiciaire indépendante». La moutarde a ainsi fini par monter au nez des intéressés qui se sentent désormais mis en cause de façon récurrente. «Régulièrement, les avocats ou les justiciables nous renvoient que nous ne sommes pas légitimes. Nos décisions sont de plus en plus contestées, au motif que nous serions dépendants du pouvoir exécutif», explique Robert Gélie, président de la conférence des procureurs. «Cette situation fragilise notre action, en même temps que la lutte contre l’insécurité», souligne-t-il. Il n’est plus rare que les réquisitions de contrôle d’identité, par exemple, fassent l’objet de critiques à peine voilées, tout comme les décisions de classement ou de comparution immédiate prises par les magistrats du parquet.
Du coup, lorsque, quelques jours avant Noël, les procureurs se sont réunis pour élire leur représentant au sein du nouveau Conseil supérieur de la magistrature (CSM, voir ci-dessous), ils ont décidé unanimement de monter au créneau sur ce sujet. Pour la première fois, les procureurs généraux, leurs supérieurs hiérarchiques, hauts magistrats en général discrets, leur ont publiquement emboîté le pas. Le thème de l’indépendance du parquet a même été déterminant dans la campagne interne qu’ont menée ces hiérarques pour désigner celui d’entre eux qui siégerait également dans le nouveau CSM. L’un des candidats, Léonard Bernard de la Gatinais, procureur général de Rennes, a ainsi dû revoir son «programme» de campagne, pour tenir compte des attentes des siens. Une sorte d’unanimité semble s’être désormais formée à travers le corps judiciaire sur le sujet.
Les magistrats du parquet militent à présent très activement pour une évolution du mode de nomination. Ceux qui, lundi encore, se défendaient d’être aux ordres du pouvoir, reconnaissent plus volontiers aujourd’hui que les pressions (non écrites) peuvent exister sur des dossiers sensibles… et qu’ils préféreraient, pour une question d’apparence au moins, que leur carrière ne soit pas aux mains du pouvoir politique. Pour gagner plus d’«indépendance», ils ne veulent plus laisser au garde des Sceaux le pouvoir de faire la pluie et le beau temps sur leur avenir.
Ainsi, estiment-ils, le ministère de la Justice, dont les services sont chargés de proposer les candidats aux différents postes, ne devrait plus pouvoir ignorer l’avis donné par le Conseil supérieur de la magistrature à propos de ces nominations. De cette façon, leur sort serait aligné sur celui des magistrats du siège : lorsque le CSM estime un candidat inapproprié au poste, la Chancellerie doit en proposer un autre – dont le nom est en général alors officieusement soufflé par le CSM. Michel Mercier, qui a reçu les procureurs la semaine dernière, s’est engagé à respecter, quant à lui, les avis du CSM, comme l’ont fait ses prédécesseurs depuis trois ans.