Les hommes boudent la magistrature

76 % des inscrits au concours d’entrée de l’École nationale de la magistrature, qui s’est déroulé cette semaine, sont des femmes.

Très majoritaires dans le métier, celles-ci ont toutefois encore du mal à se frayer un chemin dans la haute hiérarchie.

Le constat n’est pas nouveau, mais la tendance s’accentue d’année en année : Les hommes se détournent de la magistrature. La promotion 2016 de l’ENM n’échappe pas à la règle. En 1985, il y a trente ans exactement, elles ne représentaient que 50 % des effectifs contre près de 80 % aujourd’hui. En l’espace de trois décennies, le nombre de femmes dans la magistrature a augmenté de 230 %.

UN FÉMINISATION DISSUASIVE

Comment expliquer le désintérêt des hommes pour la fonction ? La question a été étudiée par deux chercheurs en psychologie de l’université de Nanterre. Selon eux, les magistrats souffrent d’un déficit d’image. Les étudiants en droit, lorsqu’on les interroge, filles et garçons confondus, évoquent ainsi « l’austérité de la fonction », de même que le « travail solitaire et quasi autistique » de ceux qui rendent la justice.

En comparaison, les avocats sont, à leurs yeux, « dans l’action, la compétition et la mobilité », ce que rechercheraient tout particulièrement les hommes. La tendance s’auto-entretient ensuite : la féminisation de la magistrature dissuade davantage encore leurs homologues masculins d’embrasser la fonction…

LES HOMMES JUGÉS PAR LES FEMMES

Cette surreprésentation des femmes dans les prétoires est-elle, en soi, problématique ? Non, répond unanimement la profession. « La façon avec laquelle on rend la justice est totalement décorrélée du sexe, assure Virginie Duval, secrétaire générale de l’Union syndicale des magistrats (majoritaire). En tant que magistrat, nous nous devons en permanence de dépasser nos éventuels préjugés pour nous focaliser sur le fond des dossiers. C’est consubstantiel à notre métier ! Le genre, les opinions politiques, les convictions religieuses, la couleur de peau, rien de tout cela n’interfère avec nos décisions. »

« La pratique judiciaire n’était pas sexuée », martelait il y a peu le directeur de l’ENM, Xavier Ronsin, tout en reconnaissant que la présence accrue de femmes dans la magistrature pouvait toutefois poser « un problème de représentation pour les justiciables, sachant qu’au pénal 95 % des délinquants sont des hommes ». En clair, les femmes jugent les hommes. « Cela ne semble choquer personne, mais imaginez une seconde l’inverse !, s’amuse un haut magistrat. Les féministes seraient vent debout. »

UNE SENSIBILITÉ PLUS FORTE DANS CERTAINS DOMAINES

« La justice est censée être rendue ’’au nom du peuple français’’ », rappelle Philippe Bilger, ancien avocat général. Convaincu qu’« hommes et femmes ne portent pas un regard fondamentalement différent sur la chose judiciaire », le magistrat estime cependant « que certaines matières sensibles renvoient à la conception que chacun a de la vie, notamment en matière familiale (divorce, garde des enfants, etc.) ».

Certains jugements favorables aux femmes seraient-ils inéquitables du seul fait d’être rendus par des femmes ? L’ancien parquetier ne va pas jusque-là. Reste que, symboliquement, « certains justiciables hommes n’ont, du coup, plus la certitude de l’impartialité ».

Des pères liés à l’association SOS papa dénoncent notamment les décisions rendues en majoritairement en faveur de leurs ex-conjointes en matière de garde d’enfant. « Mais cela n’a rien à voir avec le fait que ce soit des femmes qui tranchent le litige !, s’emporte Virginie Duval. C’est tout simplement dû au fait que les pères demandent très rarement la garde de leurs enfants ! »

UNE DIFFICILE PROGRESSION PROFESSIONNELLE

Ultra-majoritaires au moment d’intégrer la magistrature, les femmes se heurtent ensuite à un sérieux plafond de verre. Selon un rapport remis l’an dernier à la chancellerie, la proportion d’hommes « hors hiérarchie » (le grade le plus élevé) atteint 69 %, contre 31 % de femmes.

Christiane Taubira tente de rééquilibrer les choses depuis son arrivée Place Vendôme. Elle a ainsi nommé près d’une dizaine de femmes aux postes très convoités de procureurs généraux (une seule l’avait été entre 2010 et 2011). Et la ministre vient de proposer le nom de Catherine Champrenault comme procureur général près la cour d’appel de Paris… non sans faire de nombreux jaloux. Principalement des hommes !

MARIE BOËTON

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