L’observatoire international des prisons (OIP) s’inquiète des réactions de détenus privés de tout à cause du blocage des établissements par les gardiens grévistes.
Le mouvement de grève des surveillants de prison est entré dans son dixième jour, ce mercredi 24 janvier. Entamé peu après l’agression violente de trois gardiens à Vendin-le-Viel (Pas-de-Calais), le 11 janvier, le conflit porte désormais autant sur des questions de sécurité et d’effectifs que de rémunération. Les négociations avec la ministre de la justice, Nicole Belloubet, n’ont toujours pas abouti, et plusieurs dizaines de barrages, complets ou filtrants, d’établissements pénitentiaires ont été mis en place par des surveillants ces derniers jours.
Ces blocages ont des conséquences très importantes pour les détenus, leur famille et leurs proches, qui sont moins médiatisées que les revendications des surveillants mais n’en demeurent pas moins graves. À l’Observatoire international des prisons (OIP), on craint désormais qu’en cas de pourrissement, le mouvement social des gardiens n’entraîne des mouvements collectifs de détenus, ces « usagers contraints du service public pénitentiaire », entassés dans des conditions indignes.
« Nous sommes en train de guetter ce qui se passe, et il nous remonte déjà des mouvements de détenus qui en ont ras-le-bol, dans plusieurs établissements. Cela se manifeste soit par des refus de remonter de promenade, ou même des détenus qui se sont retranchés dans un quartier de détention », s’inquiète François Bès, sollicité par Mediapart. Moins ou plus du tout de visites, des repas distribués en retard, quasiment plus de « cantine » (achats de produits de première nécessité) ni de tabac, « ça peut rendre dingue des détenus qui manquent déjà de tout en temps normal », explique ce coordinateur du pôle enquêtes de l’OIP.
Les premiers mouvements de détenus ont été signalés ces dernières heures à Fresnes (Val-de-Marne), Fleury-Mérogis (Essonne), Maubeuge (Nord), Sequedin (Nord) et Pau (Pyrénées-Atlantiques).
Chaque jour, détenus, familles et avocats témoignent auprès de l’OIP des sérieuses difficultés qu’ils rencontrent à cause des barrages. Au centre pénitentiaire de Riom (Puy-de-Dôme), des détenus sont restés enfermés dans leur cellule trois jours d’affilée, parfois à trois dans 9 mètres carrés. Pour eux, le blocage des établissements est synonyme d’activités suspendues, d’annulation de douches, de promenades, de parloirs, de rendez-vous ou de communications téléphoniques. Les « cantines » non acheminées privent en outre des détenus de produits d’hygiène, de denrées alimentaires et de tabac, relate l’OIP.
Dans certains cas, la situation est surréaliste. À Longuenesse (Pas-de-Calais), des déjeuners auraient été servis par les équipes régionales d’intervention et de sécurité (ERIS), des unités normalement chargées de réprimer les émeutes. Ici, des déjeuners n’arrivent qu’à 16 h 30. Là, un détenu n’a pas pu voir son épouse depuis sept jours.
Des familles, qui ont parfois effectué plusieurs centaines de kilomètres pour passer du temps avec un détenu dans une « unité de vie familiale », ont ainsi pu attendre en vain une journée sous la pluie, ont dû prendre une chambre d‘hôtel, et n’ont toujours pas pu voir le détenu le lendemain.
Des rendez-vous médicaux ou psychiatriques ont été annulés, des traitements médicaux non distribués. Plusieurs avocats ont également signalé à l’OIP que le rendez-vous pris avec leur client avait été annulé. Des commissions de discipline, des audiences chez un juge, des rendez-vous au tribunal de l’application des peines ont été reportés, et l’extraction de certains détenus pour leur procès (dont celle, à Fresnes, de Jawal Bendaoud, le logeur de plusieurs terroristes du 13 novembre 2015) a parfois été compliquée.
« Dans un contexte où les tensions s’accroissent dans les établissements surpeuplés, ces actions – inédites dans la plupart des prisons bloquées – ne peuvent qu’augmenter la souffrance intra-muros et avec, les risques de violences que les personnels entendent pourtant dénoncer », alerte l’OIP.
« Voici encore quatre ou cinq ans, les gardiens grévistes prenaient soin de ne pas empêcher les parloirs, pour ne pas mettre le feu aux prisons », constate François Bès. C’était avant les blocages complets d’établissements, souvent décidés par une base qui a débordé les syndicats de surveillants.
Retrouvez l’article en ligne sur mediapart.fr