La ministre de la Justice, Christiane Taubira, affirme qu’«il y a des années qu’on sait que la prison, sur les courtes peines, génère de la récidive». Que disent les données disponibles sur le sujet ?
Dans une interview à Libération , la ministre de la Justice, Christiane Taubira, affirme: «Il y a des années qu’on sait que la prison, sur les courtes peines, génère de la récidive, c’est presque mécanique.»
L’étude la plus poussée sur la relation entre peines courtes (on considère comme courte une peine inférieure à deux ans) et récidive a été menée par le bureau de la prospective de l’Administration pénitentiaire et publiée en mai 2011, après plusieurs années d’analyses des données recueillies.
L’étude a été menée sur la base des dossiers de 7000 détenus, condamnés à des peines de différentes longueurs et libérés entre juin et décembre 2002. Cinq ans après ces libérations, qu’a constaté l’Administration pénitentiaire?
Parmi les personnes ayant purgé une peine inférieure à 6 mois, 62% avaient récidivé. Pour celles ayant effectué entre un an et moins de deux ans, le taux est de 64%. En revanche, seulement 37% des détenus ayant purgé une peine de cinq ans et plus avaient récidivé dans les cinq années suivant leur libération.
Des conditions de détentions difficiles
Rien de «mécanique», donc, comme le dit la ministre de la Justice, mais des données chiffrées qui établissent une corrélation forte.
Un des facteurs pouvant expliquer ce phénomène est notamment que les plus petites peines sont purgées dans les conditions les plus difficiles. Les détenus condamnés à moins de deux ans de prison sont placés en maison d’arrêt, qui sont les centres de détention les plus surpeuplés et les plus vétustes. D’autre part, d’après l’Administration pénitentiaire, les détenus condamnés à de courtes peines bénéficient très peu d’aménagements de peine. Difficile pour un détenu de reprendre des études en prison ou de demander un régime de semi-liberté pour pouvoir travailler quand il n’y reste que quelques mois. Les délais d’obtention d’une permission de sortie pouvant atteindre plusieurs semaines, selon l’association Ban Public. Or moins la sortie de prison est préparée, plus les individus ont de probabilités d’y retourner.
Même constat au Canada
Une peine de prison, même de quelques semaines, fait également souvent perdre son emploi à un individu, d’autant plus s’il occupait un poste déjà précaire. Or, on sait grâce aux chiffres communiqués par l’Administration pénitentiaire qu’avoir un emploi éloigne de la récidive. Enfin, des séjours en prison peuvent aussi avoir un effet destructeur sur la vie privée du détenu, en l’éloignant de son conjoint, favorisant également le risque de récidive.
Une étude menée par le ministère de la Sécurité publique au Canada sur les effets des sanctions sur la récidive en 2002 (il n’existe pas d’étude officielle plus récente répondant précisément à cette problématique) constatait que les courtes peines (moins de deux ans) de prison et peines intermédiaires (de trois à cinq ans) n’ont aucun effet dissuasif. «Les courtes peines reposent sur la croyance selon laquelle les sanctions criminelles dissuadent les délinquants de récidiver, écrivent les auteurs de l’étude. Au contraire, l’imposition de sanctions a entraîné une légère augmentation du taux de récidive. Les incarcérations et les sanctions intermédiaires n’ont pas réussi à faire diminuer la récidive ni chez les jeunes ni chez les délinquants adultes.»
Par Judith Duportail