Propos recueillis par Alexandre Piquard sur LeMonde.fr le 5 octobre 2010
Depuis 1996, la part des filles parmi les mineurs mis en cause par la police et la gendarmerie est passée de 9,9 % à 15,5 %. N’est-ce pas le signe que la délinquance des jeunes filles augmente fortement ?
Coline Cardi : Le chiffre que vous citez augmente certes mais il montre qu’on n’est sûrement pas face à une « explosion » de la délinquance des jeunes filles – ce que laisse penser un autre chiffre, souvent cité et qui fait état celui de 133 % de hausse du nombre de mineures mises en cause, entre 1996 et 2009. Les chiffres de la délinquance des mineures restent assez faibles, et il faut donc les nuancer, même si on peut avoir l’impression que les augmentations sont fortes.
La délinquance des mineures reste faible, selon vous ?
Si la proportion de filles se situe autour de 15 % des mineurs mis en cause, elle est à peu près égale à celle des femmes majeures, qui est stable depuis 2004 (voir l’article correspondant dans le rapport annuel de l’ONDRP 2009). Et rappelons que ces chiffres restant des constatations faites par la police et la gendarmerie, ils témoignent davantage de l’activité de ces services.
Ces chiffres policiers recoupent-ils ce que vous avez observé au niveau de la justice et de la prison, par exemple ?
Au niveau de la prison, on n’a pas du tout d’augmentation forte et le taux est plus faible : il y a 3,4 % de femmes – majeures – parmi les détenus (voir les chiffres de la population carcérale en septembre 2010). Au niveau de la justice, le taux de femmes parmi les condamnés est autour de 10 % (voir les chiffres de condamnations en 2008). C’est donc au niveau de la police que les chiffres sont les plus importants.
Comment expliquer que le taux de femmes mises en causes soit supérieur au taux de condamnées, et au taux d’incarcérées ?
Les infractions sont différentes et il y a aussi une forme de clémence de la justice, qui est à relativiser là encore. Les femmes sont en partie protégées du risque d’incarcération mais cette protection se solde par d’autre types de contrôle par la justice.
Les jeunes filles ne sont-elles pas plus violentes qu’avant ? L’Observatoire national de la délinquance souligne que les atteintes à l’intégrité physique commises par des filles mineures ont augmenté de 83 % depuis 2004, contre seulement 46 % pour les garçons.
Pour certains, les filles, quand elles sont violentes, le sont plus que les garçons. C’est une idée partagée par certains juges, notamment pour enfants. Ceci peut s’expliquer par la difficulté à penser et à appréhender la violence des femmes. Quand il y a une affaire de violence impliquant des filles, on la médiatise, en mettant volontiers en avant une forme de sadisme, de cruauté, en donnant une image de « monstrueuses ». Dès que les filles transgressent des normes de genre, comme la violence, associée au masculin, cela choque davantage. Récemment, les discours qui pointent la violence des filles a pu aussi bien légitimer un discours sécuritaire, avec l’idée que « même les filles s’y mettent… » qu’un discours antiféministe, avec l’idée que l’émancipation des femmes conduirait à en faire des hommes.
Mais les jeunes filles sont-elles plus violentes qu’avant ?
En tout cas, la police arrête plus de filles qu’avant. Il y a plusieurs hypothèses. On peut se demander s’il n’y a pas plus de passage à l’acte violent. Les filles feraient alors de plus en plus comme les garçons. On peut penser que la frontière de genre s’estompe. Mais c’est une hypothèse que l’on a déjà faite dans les années 70, aux Etats-Unis, quand on s’est intéressé à la délinquance des femmes et qui ne s’est absolument pas vérifiée.
Comment alors expliquer la hausse des chiffres policiers concernant les mineures ?
L’autre hypothèse est celle d’une transformation dans le contrôle social. La police serait moins tolérante à l’égard des filles qu’auparavant. On sait que le contrôle des femmes par la police a pu être plus important dans les magasins, pour les vols. Il augmente peut-être depuis sur la voie publique. Dans la représentation policière, comme dans la représentation générale, une fille est à l’origine moins délinquante qu’un garçon.