Par Jean-Baptiste Jacquin
« Depuis toujours le budget de la justice augmente, tous les gardes des sceaux ont eu à s’en féliciter, c’est l’un des paradoxes de ce ministère. » En présentant jeudi 29 septembre le projet de budget 2017 de son ministère, Jean-Jacques Urvoas n’était pas en reste pour démontrer, chiffres à l’appui, la hausse record qu’il avait obtenue, de 9 % à 6,89 milliards d’euros… ou de 5 % selon le mode de calcul.
S’ils vont permettre d’éteindre quelques incendies et redonner un peu d’air à des juridictions asphyxiées, ces réels efforts financiers ne suffiront pas à changer la face de cette bien pauvre justice française. La comparaison de l’efficacité et de la qualité des systèmes judiciaires dans 46 Etats du Conseil de l’Europe souligne de façon criante les carences structurelles de la France.
Selon l’étude 2016 de la Commission européenne pour l’efficacité de la justice (Cepej), publiée jeudi 6 octobre, la France consacrait à la justice 64,10 euros par habitant en 2014. Certes, c’est une hausse par rapport aux 61,20 euros de 2012 (l’étude de la Cepej est réalisée tous les deux ans), mais cela reste très éloigné de la pratique de nos voisins, comme l’Allemagne (108,90 euros) ou l’Espagne (88 euros). Alors que la plupart des pays d’Europe occidentale ont infligé à la suite de la crise financière de 2008 des cures d’austérité budgétaire à leur système judiciaire, Paris a cultivé le « paradoxe » et augmenté son effort. Mais le système tricolore reste parmi les plus mal dotés des 28 pays de l’Union européenne, laissant derrière lui des pays comme le Portugal (52 euros), l’Irlande (48 euros) ou la Grèce (44 euros).
« Voie de clochardisation »
« L’Europe finance cette très lourde étude car elle considère qu’une justice qui fonctionne bien est un facteur de croissance économique », justifie Jean-Paul Jean, président du groupe des experts de la Cepej et président de chambre à la Cour de cassation. La situation française ne se caractérise pas seulement par ses palais de justice délabrés et ses manques de personnel. Les difficultés d’accès à la justice pour les citoyens et en particulier pour les plus démunis d’entre eux y sont plus grandes qu’ailleurs. Le budget de l’aide judiciaire, qui permet d’indemniser les avocats chargés de conseiller ou défendre les personnes sans revenus ou à faibles revenus, représente 5,49 euros par habitant, quand les Pays-Bas ou la Suède sont au-delà de 26 euros par habitant.
Il n’est guère étonnant dans ces conditions de constater que la France compte moins d’avocats que ses voisins. Certes, elle compte plus de notaires, dont certaines tâches relèvent ailleurs de la compétence des avocats, mais les écarts sont impressionnants. On dénombre 94 avocats pour 100 000 habitants, bien moins qu’en Belgique (162), Allemagne (202), Espagne (291) ou au Royaume Uni (315). La faiblesse relative de cette profession n’est pas qu’une question catégorielle. « La qualité de la justice passe notamment par l’existence au profit du justiciable d’une défense assurée par un professionnel formé, compétent, disponible, offrant des garanties déontologiques et travaillant pour un coût raisonnable », prend soin de rappeler la Cepej.
Des négociations sont en cours entre la chancellerie et le Conseil national des barreaux au sujet de l’aide judiciaire. Elles portent sur une petite revalorisation de l’indemnisation des avocats, après un premier geste fin 2015 qui avait mis fin à un mouvement de protestation d’ampleur. Mais aucune remise à plat de ce dispositif à bout de souffle n’est à l’ordre du jour.
Devant l’ampleur du handicap à combler pour sortir la justice française de « la voie de clochardisation », pour reprendre les termes de M. Urvoas, c’est bel et bien un effort pluriannuel qui s’impose. L’idée du garde des sceaux, appuyée par Dominique Raimbourg et Philippe Bas, les présidents des commissions des lois de l’Assemblée nationale et du Sénat, de préparer une loi de programmation pour la justice apparaît comme un minimum indispensable. Mais les moyens de la justice n’ont jamais été un argument de campagne présidentielle.