« Le terrorisme a marqué mes dernières années de procureur à Créteil »

Lundi soir, Nathalie Bécache, 54 ans, quittera son poste de procureur de la République à Créteil pour devenir dès mardi matin le chef du service national de douane judiciaire (SNDJ), basé à Ivry. Retour sur ce qui a marqué ses six années au tribunal de Créteil.

Le désengorgement. « En 2010, j’ai découvert une juridiction avec un bureau d’ordre engorgé, une exécution des peines lente. Une difficulté à placer les dossiers pénaux devant le tribunal correctionnel dans des temps raisonnables. Aujourd’hui le bureau d’ordre est à jour. Les affaires nouvelles sont traitées dans des délais très brefs : ça, c’est formidable dans une très grosse juridiction. Les affaires financières passent dans un délai normal. C’est moins le cas pour la criminalité organisée, avec les trafics de stupéfiants : ces trafics-là il y en a tant que le tuyau est trop étroit. Ça aurait dû être mon axe de travail l’an prochain, c’est aussi celui du président du tribunal. »

Le manque d’effectifs. « Notre parquet n’était pas en rapport numérique avec notre délinquance. Avec le président du tribunal, nous l’avons fait valoir auprès du garde des Sceaux. Cela a été couronné de succès. Au moment où je vous parle nous sommes 33 magistrats aux manettes : je n’ai jamais connu cela en six ans. J’ai presque du regret de partir à un moment aussi heureux ! »

Les meurtres « conjugaux ». « C’est un sujet d’inquiétude permanent. Lors de mes premières années, nous avons eu des affaires de meurtres conjugaux qui nous ont beaucoup marqués. Est-ce qu’on aurait pu améliorer la connaissance que l’on avait de la famille ? Ça a conduit une réflexion globale au parquet, j’ai estimé que ce n’était pas des affaires générales. J’ai affecté ce contentieux à la division des affaires des mineurs, qui s’appelle du reste les affaires familiales. C’est une manière d’avoir une vision globale. »

Le téléphone grand danger. « Nous l’avons installé pour les femmes qui s’estiment en très grand danger parce qu’elles font l’objet de menaces. Aujourd’hui les cinq sont attribués. Depuis que ça existe, la police n’a pas eu à intervenir sur un appel d’angoisse. On a encore 1 500 à 1 800 procédures de violences conjugales par an, l’essentiel pour des faits véniels. »

Le supermarché de la drogue. « C’est l’aboutissement d’un travail acharné : le démantèlement complet d’un trafic de stupéfiant qui pourrissait la vie des gens dans le quartier des Boullereaux, à Champigny. Ça, c’est une satisfaction professionnelle intense. »

La radicalisation. « Le terrorisme a marqué mes dernières années, avec l’Hyper Cacher et l’assassinat d’Aurélie Châtelain à Villejuif. C’est venu conforter les inquiétudes que nous avions tous en tête, moi singulièrement : depuis Merah, on a un terrorisme produit par notre société. Je l’ai vécu de très près avec la mise en œuvre d’une batterie de mesures liées au dépistage de la radicalisation. Mon vrai regret c’est le manque d’outils pour dépister et combattre la radicalisation des plus jeunes. A ce sujet, je quitte mon poste plutôt pessimiste : on n’a pas terminé ce travail-là, et de loin. »

Retrouvez cet article sur Le Parisien

 

 

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