Le statut du parquet au coeur des préoccupations des magistrats parisiens

Article de Franck Johannès publié le 12/01/11 sur lemonde.fr


Le statut du parquet, l’un des rares chantiers que le chef de l’Etat n’envisage pas d’ouvrir, a été à nouveau, mardi 11 janvier, au coeur des inquiétudes des magistrats, parisiens cette fois.


Jean-Louis Nadal, le procureur général de la Cour de cassation, avait souligné vendredi 7 janvier que le ministère public était « proche d’un état de coma dépassé ». François Falletti, procureur général près de la cour d’appel de Paris, lui a répondu mardi 11, lors de l’audience solennelle de rentrée de cette juridiction, que c’était aussi « un coma artificiel ; on sait comment on en est arrivé là et comment en sortir ».


Le débat est essentiel : la chancellerie et une partie des magistrats s’arc-boutent sur la vieille conception française du procureur, à la fois autorité de poursuite, juge de paix et garant des libertés, bien que soumis au pouvoir exécutif. « Je suis chef des procureurs, avait résumé en 2007 Rachida Dati, l’ancienne garde des sceaux, ils sont là pour appliquer la loi et une politique pénale. »


Mais, la Cour européenne des droits de l’homme, dont la Cour de cassation a fait sienne l’analyse, estime que le parquet n’est pas une « autorité judiciaire », à la différence des « juges qui jugent », car il n’est indépendant ni du pouvoir politique ni des parties au procès, puisqu’il représente l’accusation.


Le procureur général de Paris et le premier président de la cour d’appel, Jacques Degrandi, ont fait leur possible mardi pour trouver une voie médiane et sauver ce qui pouvait l’être de la conception françai

se, même si la bataille est perdue et que la scission du corps judiciaire entre parquetiers et juges du siège semble à terme inévitable.


« Le ministère public est aussi porteur de l’intérêt général et de la défense des libertés publiques, a plaidé Jacques Degrandi, ce qui le distingue d’une simple autorité de poursuite. » Il a insisté sur la nécessité d’aligner les conditions de nomination du parquet sur celles du siège, et donc que la chancellerie soit liée par l’avis du Conseil supérieur de la magistrature pour nommer les procureurs. « Il nous faudra ensuite faire admettre qu’un ministère public peut constituer une autorité judiciaire au sens de la Convention européenne, même si une part, une part seulement, de son rôle est dévolue aux poursuites », a-t-il expliqué.


Le procureur général s’est lui aussi essayé à défendre le ministère public à la française, sans visiblement considérer qu’il s’agissait d’un combat d’arrière-garde.


François Falletti, qui réclame lui aussi une réforme de la nomination des procureurs, a reconnu que l’année 2010 avait été marquée par « des propos d’une rare dureté » envers le parquet, accusé d’être « aux ordres, à la botte, en état de soumission ». Un de ses procureurs – Jean-Claude Marin, à Paris – « s’est vu reprocher de protéger des personnalités, d’essayer d’éteindre des incendies » alors qu' »il ne défend que l’intérêt général ».


Pour le procureur général, comme pour le Conseil constitutionnel, le ministère public doit « rester attaché à l’autorité judiciaire » et « notre tradition française présente nombre d’intérêts », le procureur étant, notamment le garant des libertés et de l’égalité devant la loi. L’indépendance du parquet lui semble d’ailleurs déjà garantie par le fait que depuis 1993, les instructions écrites de la chancellerie (fort rares, téléphone oblige) sont versées aux dossiers.


Jacques Degrandi a enfin sévèrement mis en garde les juges qui « au nom de l’indépendance, refusent de participer à un travail collectif de réflexion » et s’accordent « une autonomie » qui n’est que l’expression de « leur confort personnel ». Le premier président vise notamment les magistrats qui appliquent dès à présent les décisions de la Cour européenne sur la garde à vue avant qu’elles ne soient traduites en droit français.


François Falletti a enfin conclu par une belle maxime de Sénèque, qui devrait laisser pensif le gouvernement : « Il n’existe pas de vents favorables pour ceux qui ne savent pas où ils vont. »



source : lemonde.fr
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