Article de Alain Salles,publié sur LeMonde.fr , le 15 septembre 2009
Le gouvernement veut faire marche arrière sur des points essentiels de la loi pénitentiaire. La garde des sceaux, Michèle Alliot-Marie, qui devait être auditionnée par la commission des lois de l’Assemblée nationale, mardi 8 septembre, souhaite modifier la partie du texte sur le régime des aménagements de peines, en rendant plus difficile leur application pour les récidivistes et les délinquants sexuels. La ministre de la justice, en accord avec le rapporteur du projet de loi, le député UMP de Gironde Jean-Paul Garraud, est prête par ailleurs à revenir sur l’encellulement individuel de chaque détenu. Ce principe avait été réaffirmé par le Sénat, contre l’avis du gouvernement, en mars, lors de la première lecture du texte. La loi pénitentiaire sera débattue par les députés, à partir du lundi 14 septembre.
Les règles pénitentiaires européennes prévoient que « chaque détenu doit en principe être logé pendant la nuit dans une cellule individuelle, sauf lorsqu’il est considéré comme préférable pour lui qu’il cohabite avec d’autres détenus ». Elles précisent qu’une « cellule doit être partagée uniquement si elle est adaptée à un usage collectif et doit être occupée par des détenus reconnus aptes à cohabiter ». Enfin, « dans la mesure du possible, les détenus doivent pouvoir choisir avant d’être contraints de partager une cellule pendant la nuit. »
L’article 716 du code de procédure pénale prévoit que « les personnes mises en examen, prévenus et accusés soumis à la détention provisoire sont placés au régime de l’emprisonnement individuel de jour et de nuit. Il ne peut être dérogé à ce principe que dans les cas suivants : 1° Si les intéressés en font la demande ; 2° Si leur personnalité justifie, dans leur intérêt, qu’ils ne soient pas laissés seuls ; 3° S’ils ont été autorisés à travailler, ou à suivre une formation professionnelle ou scolaire et que les nécessités d’organisation l’imposent ; 4° Dans la limite de cinq ans à compter de la promulgation de la loi du 12 juin 2003 (…) si la distribution intérieure des maisons d’arrêt ou le nombre de détenus présents ne permet pas un tel emprisonnement individuel. »
L’article 59 du projet de loi pénitentiaire, adopté par le Sénat en mars précise : « Dans la limite de cinq ans à compter de la publication de la présente loi, il peut être dérogé au placement en cellule individuelle dans les maisons d’arrêt au motif tiré de ce que la distribution intérieure des locaux ou le nombre de personnes détenues présentes ne permet pas leur application. Cependant, la personne condamnée ou (…) la personne prévenue peut demander son transfert dans la maison d’arrêt la plus proche permettant un placement en cellule individuelle. »
Lobbying contre les aménagements de peines.
La partie du projet de loi sur les aménagements de peines (semi-liberté, bracelet électronique, travail d’intérêt général…) avait fait consensus lors de l’examen du texte par les sénateurs. Son but est de faciliter le recours aux aménagements de peines, car, soulignait l’exposé des motifs du gouvernement, ils constituent « dans la plupart des cas la meilleure manière de lutter contre la récidive et de favoriser l’insertion et la réinsertion ».
Actuellement, une personne qui comparaît libre et est condamnée à une peine de moins d’un an de prison, sans qu’un mandat de dépôt soit prononcé, est convoquée par un juge d’application des peines qui peut lui proposer un aménagement de peine. Le projet de loi prévoit d’étendre cette possibilité aux condamnations jusqu’à deux ans de prison. Mais depuis des semaines, plusieurs organisations ont développé un intense lobbying contre cette nouvelle possibilité, comme l’association de victimes, l’Institut pour la justice, présidé par Philippe Schmitt, dont la fille Anne-Lorraine a été assassinée en 2007 dans le RER. « Tout détenu qui bénéficie d’un aménagement de peine se retrouve aussitôt en liberté, dans les rues, écrit l’association en incitant ses membres à écrire à leurs députés. Qu’il soit en libération conditionnelle, en semi-liberté ou sous surveillance électronique ne change rien à l’affaire : il n’est plus en prison, et peut donc, au moins théoriquement, commettre n’importe quel délit ou crime à l’encontre des autres citoyens. » L’argument a été repris par le syndicat Synergie police. Le député UMP Eric Ciotti, très proche de Christian Estrosi, craint « que ce texte ne se traduise par un message de clémence adressé aux délinquants ».
Mme Alliot-Marie a songé à revenir sur cette extension à deux ans, mais opte, comme M. Garraud, pour une exclusion des récidivistes et des délinquants sexuels du champ de cette extension. « Ce seuil (de 2 ans) me pose problème, a expliqué la garde des sceaux dans Le Parisien du 5 septembre. D’une part, il n’est pas en cohérence avec les mesures prises sur la récidive et les peines planchers. D’autre part, certains faits punis de deux ans de prison sont déjà graves, comme les attouchements sexuels. Je ne suis pas contre les aménagements de peine, mais ils ne peuvent avoir pour but de désengorger les prisons. »
« Il faut arrêter de considérer les aménagements de peines comme des cadeaux, rétorque Martine Lebrun, présidente de l’Association des juges d’application des peines. On accorde un aménagement de peine à des personnes qui sont dans un processus de stabilisation, qui ont fait des efforts pour indemniser leurs victimes, qui se soignent. Et on va leur dire, « vous avez fait ces efforts mais vous ne pouvez pas en bénéficier car vous avez une étiquette de récidiviste ou de délinquant sexuel ! » »
L’extension des aménagements de peines à des condamnations à deux ans aurait de toute façon un impact limité. En 2006, il y a eu 7 000 condamnations à des peines d’un à deux ans de prison et 105 000 condamnations à des peines d’emprisonnement d’un an et moins. Environ 11 % de ces condamnations ont fait l’objet d’un aménagement de peine.
Remise en cause de l’encellulement individuel.
Michèle Alliot-Marie et Jean-Paul Garraud souhaitent revenir sur la question de l’encellulement individuel, qui a donné lieu à une farouche bataille au Sénat. Les sénateurs ont réaffirmé le principe du placement d’un détenu dans une cellule, inscrit dans la loi française depuis 1875, mais jamais appliqué, car assorti de dérogations. Le Parlement a voté à l’unanimité son application, en 2000, en prévoyant un moratoire de trois ans, renouvelé pour cinq ans en 2003. Les sénateurs ont prévu un nouveau moratoire de cinq ans, tablant sur la fin du programme de constructions de 13 200 places de prison supplémentaires, qui doit être achevé en 2012.
Mais l’ancienne garde des sceaux, Rachida Dati, a indiqué au Sénat que l’encellulement individuel ne serait toujours pas possible à cette date. Le sénateur UMP, Jean-René Lecerf, rapporteur du projet de loi, a en effet constaté que 31 % des nouvelles cellules étaient collectives, alors que leur construction a été décidée en 2002, après l’adoption du principe de l’encellulement individuel.
Le gouvernement souhaite laisser le choix aux détenus d’une cellule individuelle ou collective avec une surface suffisante. Mme Dati a par ailleurs publié un décret en juin 2008, donnant la possibilité au détenu de demander une place pour être seul en cellule. L’administration pénitentiaire a alors plusieurs mois pour leur trouver une place, généralement à plusieurs centaines de kilomètres. Très peu de détenus ont fait cette demande. Le décret fait l’objet de recours en annulation devant le Conseil d’Etat.
Le sujet de l’encellulement individuel est épineux, car c’est un casus belli avec les sénateurs. La procédure d’urgence ayant été décrétée sur le projet de loi pénitentiaire, le texte voté par l’Assemblée nationale devra faire l’objet d’un accord en commission mixte paritaire. « Le Sénat ne lâchera pas sur l’encellulement individuel », avertit Jean-René Lecerf.