Tandis que le gouvernement semble disposé à desserrer les cordons de la bourse à l’égard de certaines catégories socioprofessionnelles, le garde des sceaux lance une campagne de mobilisation en faveur du budget de la justice. Depuis son arrivée place Vendôme en janvier, Jean-Jacques Urvoas répète à chacune de ses interventions que les moyens sont sa priorité. Malgré les assurances de François Hollande et Manuel Valls, il sait que cela ne suffira pas pour gagner les arbitrages budgétaires, toujours homériques. Les lettres de cadrage pour le budget 2017 seront envoyées par Bercy aux différents ministères en juillet. Sans attendre, l’ex-président de la commission des lois de l’Assemblée nationale et député du Finistère mobilise tous azimuts. Il a déjà reçu dans son bureau ministériel un à un tous les présidents de groupes politiques de l’Assemblée nationale et du Sénat ainsi que les rapporteurs généraux du budget et les rapporteurs spéciaux du budget de la justice. Avec un message unique : « J’ai besoin de vous ! »
Dans une « démarche transpartisane », le président socialiste de la commission des lois de l’Assemblée nationale, Dominique Raimbourg, et son homologue du parti Les Républicains au Sénat, Philippe Bas, ont passé ensemble la journée de jeudi 2 juin pour partager un constat sur les besoins de la justice. Une première, à l’initiative de laquelle M. Urvoas n’est pas totalement étranger…
« Diagnostic partagé »
Au tribunal de grande instance de Créteil (Val-de-Marne) le matin et à la maison d’arrêt de Bois-d’Arcy (Yvelines) l’après-midi, MM. Raimbourg et Bas n’ont pas eu de difficulté à constater « l’extrême gravité de la situation », pour reprendre les termes du second. Le paradoxe est qu’en dix ans, le budget de la justice est passé de 5,9 à 8,2 milliards d’euros (+ 39 %), progressant deux fois plus vite que le budget de l’Etat. Mais les missions de la justice et le nombre de détenus ont explosé. L’administration pénitentiaire, devenue le premier poste, a vu ses moyens bondir de 57 % sur la période.
L’objectif est aussi de voir plus loin que le seul budget de 2017. Le garde des sceaux songe à préparer une loi de programmation, qui comme cela a été fait pour la défense, permettrait de sanctuariser sur plusieurs années l’effort de la nation. Mais, le calendrier étant très serré d’ici l’échéance électorale de 2017, M. Urvoas souhaite au moins préparer le terrain pour le gouvernement suivant en établissant « un diagnostic partagé ».
M. Bas estime « la conjoncture astrale favorable à une prise de conscience » afin de « mettre la justice à l’abri des clivages politique ». Il appelle aussi de ses vœux une loi de programmation, comme M. Raimbourg. Avec pour objectif, selon le député de la Loire-Atlantique, de « mettre en adéquation les moyens de la justice avec les tâches qui lui sont confiées ». Les présidents des deux commissions de lois souhaitent en particulier ouvrir une réflexion sur les missions que le législateur a données à la justice sans les financer, quitte à revenir sur certaines d’entre elles.
5,3 milliards d’euros pour le PPP
Le premier président de la Cour des comptes, Didier Migaud, auditionné mercredi par la commission des lois de l’Assemblée sur le budget de la justice – une autre première ! –, reconnaît les contraintes particulières de ce ministère. Didier Migaud observe notamment que le développement des prisons en partenariat public privé (PPP) a entraîné depuis dix ans « une forte croissance des dépenses contractuelles avec un effet d’éviction sur les autres dépenses ». Les PPP ont absorbé 5,3 milliards d’euros sur la période.
Mais M. Migaud en a profité pour sévèrement critiquer la gestion du ministère et son « insuffisance de pilotage ». Les centaines de millions d’euros perdus dans la conduite du projet de plate-forme nationale des écoutes judiciaires ne sont qu’un des exemples.
Ce constat n’empêche pas M. Urvoas de chercher à « rebâtir la confiance des citoyens dans leur justice », comme il l’a expliqué jeudi matin aux procureurs généraux réunis à la chancellerie. Il leur présentait sa première circulaire de politique pénale. Le garde des sceaux leur fixe comme priorité des priorités « la lutte contre les atteintes aux personnes ». En particulier à l’égard de personnes vulnérables, en cas de violences intrafamiliales ou à l’égard des forces de l’ordre.« Aucun agissement avéré ne doit rester sans réponse. »
Avec la même fermeté dans ses consignes, il plaide pour le développement des alternatives à la prison pour les courtes peines. Le garde des sceaux veut pleinement exercer ses prérogatives en matière de politique pénale et exige des procureurs généraux une remontée d’informations fiable et rapide.