L’ordonnance du 2 février 1945 qui réglemente la justice des mineurs est plus que jamais dans le viseur du gouvernement. Le ministre de l’Intérieur a récemment fait de sa refonte l’axe prioritaire de son action. Le projet de l’UMP pour 2012 prévoit son remplacement par un code pénal pour les mineurs et un abaissement de fait de la responsabilité pénale à 12 ans (contre 13 auparavant), reprenant l’une des propositions du rapport Varinard. Les arguments justifiant ces retours en arrière sont désormais classiques : l’ordonnance de 1945, trop laxiste, induit un sentiment d’impunité. Les mineurs de 1945 n’ont rien à voir avec les géants noirs des banlieues d’aujourd’hui, qui ont moins de 18 ans et qui font peur à tout le monde (dixit Nicolas Sarkozy). En oubliant au passage que l’ordonnance de 1945 a déjà été modifiée 34 fois depuis sa création et que celle-ci n’est qu’une étape d’un mouvement progressiste qui débute bien plus tôt dans l’histoire.
La lente construction d’une justice des mineurs
Le Code Pénal de 1810, mis en place pour la justice des majeurs, fixait la responsabilité pénale à 16 ans. Il appartenait alors aux juges de droit commun de décider si le mineur avait agi ou non avec discernement. En 1906, un premier texte faisait passer la majorité pénale de 16 ans à 18 ans. Cette première loi sera suivit 6 ans plus tard, par la loi de 1912 qui instaure les tribunaux pour enfants, ainsi que la liberté surveillée. Cette loi supprime la question du discernement pour les moins de 13 ans, qui ne peuvent plus être condamnés car bénéficiant d’une présomption absolue d’irresponsabilité. Ces deux textes, qui sont des « prémisses » de l’ordonnance de 1945 ont été décisifs, notamment dans la création de juridictions spéciales concernant la délinquance des mineurs. En trente ans, de nouvelles conceptions psychologiques, sociales et pédagogiques se font jour. Si en 1942 on pose le postulat que le jeune est éducable, ce n’est qu’en 1945 que de vraies dispositions sont prises pour les mineurs. La France est alors à reconstruire et a besoin de toute ses forces vives, comme l’évoque le préambule de l’ordonnance de 1945 : « La France n’est pas assez riche d’enfants pour qu’elle ait le droit de négliger tout ce qui peut en faire des être sains ». La délinquance juvénile est bel et bien présente dans la société mais les élites politiques de l’époque font le choix de considérer le jeune comme un être en devenir, donc rééducable… et disponible pour le patronat. Cette conception est aussi le résultat d’une longue évolution des mentalités qui, d’un « adulte en miniature » fait du jeune un être en devenir. Dans une mesure avant tout protectrice et éducative, sa prise en charge est effectuée par des professionnels tels que les éducateurs ou les assistants sociaux, ainsi que par des juridictions spécifiques comme les tribunaux pour enfants. Le texte de l’ordonnance de 1945 n’a donc plus comme objectif de punir le délinquant, mais avant tout de le protéger. Cependant si l’enfant est reconnu pénalement irresponsable par le texte de l’ordonnance, il peut tout de même se voir imputer une infraction si le juge décide que l’acte commis résulte d’une volonté libre et consciente. Mais même dans ce cas, l’objectif de la rééducation et de la réhabilitation du jeune reste prioritaire et celui-ci bénéficie de mesures éducatives ou d’une cause légale d’atténuation de responsabilité. Le jeune doit avant tout être protégé, y compris contre lui-même.
C’est pour mieux répondre à ce défi éducatif qu’est créée l’ordonnance du 23 décembre 1958 relative à la protection de l’enfance et de l’adolescence en danger. Elle facilite notamment l’intervention préventive du juge des enfants et la mise en œuvre de mesures d’assistance éducatives au bénéfice des jeunes dont la santé, la moralité, l’éducation ou encore la sécurité sont menacées. La notion de « danger », au cœur de l’ordonnance de 1958, fait du juge des enfants le maître d’œuvre du processus pénal. Si l’on parlait de l’ordonnance de 1945 comme d’un modèle thérapeutique, on parle de l’ordonnance de 1958 comme d’un nouveau droit sanitaire et social. Le premier était davantage basé sur le « droit sanction » alors que le second rompt avec cette philosophie du sujet pour considérer que le jeune délinquant est aussi une victime de mauvaises conditions de vie.
Vingt-cinq ans plus tard, l’irresponsabilité pénale du mineur est pour la première fois nettement remise en question avec le rapport de la commission Martaguet. Arguant de la nécessité de réparation, elle propose que le jeune délinquant soit reconnu responsable de son acte, afin que la victime et la société puissent être prises en compte en obtenant dédommagement. Le jeune infracteur se voit replacé dans le triangle de la justice qui relie société, victime et délinquant. Le pouvoir du juge des enfants doit alors être limité et son rôle situé dans un partenariat avec le parquet des mineurs et le juge d’instruction. Ces propositions resteront, pour un temps, lettre morte.
Il faudra attendre dix ans, avec la loi sur la réparation pénale du 4 janvier 1993, pour que le changement devienne effectif. Cette nouvelle loi va ainsi remettre en cause ce qui semblait être l’un des piliers de l’ordonnance de 1945, à savoir l’irresponsabilité pénale du mineur. C’est un premier durcissement notable de la justice des mineurs. Il y en aura d’autres, à commencer par la circulaire Chevènement du 15 juillet 1998 qui précise que le principe de responsabilité pénale des mineurs « doit être mis en œuvre de manière systématique, rapide et lisible, en réponse à chaque acte de délinquance ».
La justice des mineurs depuis 2002 : un retour au 19ème siècle ?
Mais les attaques les plus fortes seront le fait des gouvernements suivants. La loi Perben du 9 septembre 2002 réforme en profondeur la justice des mineurs en accentuant les mesures répressives : abaissement de l’âge minimal de garde à vue de 13 ans à 10 ans et révision à la baisse des critères autorisant une retenue judiciaire, abaissement de 16 ans à 13 ans de l’âge minimal pour un placement en détention provisoire ou sous contrôle judiciaire (avec renforcement des obligations assorties), instauration de sanctions éducatives pour les 10-13 ans, généralisation de l’incarcération à partir de 13 ans dans des Établissements pénitentiaires pour mineurs (EPM), aggravation des peines encourues en cas de vol ou de violences quand ces infractions ont été commises avec la participation d’un mineur agissant en qualité d’auteur ou de complice, aggravation des sanctions punissant les actes de violence commis à l’encontre de personnes chargées d’une mission de service public ou des personnels éducatifs (allant jusqu’à six mois d’emprisonnement et 7 500 euros d’amende), mise en place d’une procédure de jugement rapide des mineurs, dite jugement à délai rapproché qui remplace celle de comparution à délai rapproché en l’aggravant et en renforçant le rôle du parquet. Le juge des enfants n’est alors plus compétent que pour décider du placement du mineur en détention provisoire ou sous contrôle judiciaire tandis qu’il revient au parquet de saisir le tribunal pour enfants, de notifier la date de jugement au mineur et d’évaluer si les éléments de personnalité sont suffisants. La généralisation programmée du dossier unique de personnalité, qui synthétise les pièces du dossier d’assistance éducative, facilitera encore le recours aux procédures rapides, celles-ci nécessitant de disposer d’éléments de personnalité datant de moins d’un an. Enfin, le délai de l’audience se raccourcit.
Cette justice d’abattage limite les mesures éducatives et permet, depuis la LOPSI du 29 août 2002, l’enfermement des mineurs dès 13 ans dans les Centres Éducatifs Fermés ou en détention classique en cas de mauvaise conduite en Centre Éducatif Renforcé et enfin, pour une minorité, depuis octobre 2011 en Établissement Public d’Insertion de la Défense. Cette dernière structure est destinée à accueillir des mineurs de plus de 16 ans (jusqu’à 500 par an) pour une durée de 6 à 12 mois en alternative à une sanction, à une mesure éducative ou dans le cadre d’un sursis avec mise à l’épreuve. Cette politique d’incarcération massive s’accompagne de dispositions touchant les familles : suppression de la part des allocations familiales de l’enfant placé en CER, à laquelle peut s’ajouter une amende et des stages parentaux avec possibilité d’incarcération en cas de refus. La décentralisation la durcit encore en permettant au ministre de la Justice de décharger la PJJ de l’action éducative au civil pour recentrer son action et son intervention exclusivement au pénal. Le transfert de l’assistance éducative au département et à l’aide sociale à l’enfance enlève au juge des enfants la possibilité de désigner un service pour l’exécution de la mesure qu’il prononce et d’en assurer ainsi le suivi. La loi du 9 mars 2004 portant sur l’adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité (dite Perben II) aggrave encore ces dispositions répressives, instaurant, en outre, un stage de citoyenneté. Un palier est encore franchi avec la loi du 5 mars 2007 sur la prévention de la délinquance dont l’un volet concerne directement les mineurs : diversification et individualisation des mesures à la disposition des juges, possibilité de recourir à la procédure de composition pénale dès l’âge de 13 ans, possibilité de juger un mineur récidiviste de plus de 16 ans dès la première audience, création d’un service volontaire national dans la police. A ces mesures s’ajoutent encore celles de la loi du 10 août 2007 renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs : abaissement de la responsabilité pénale de 13 à 10 ans, réduction des mesures de sanctions éducatives, systématisation du principe de comparution immédiate, affaiblissement des pouvoirs du juge des enfants au profit du parquet, suppression de fait de l’excuse de minorité, durcissement du régime des peines de prison avec la généralisation des peines planchers aux 16-18 ans récidivistes. La LOPPSI 2 étend celles-ci aux mineurs de 16 ans non-récidivistes, bafouant encore un plus les principes de proportionnalité et d’individualisation des peines.
Délinquance et justice des mineurs : une rente politique
Le coup de grâce vient de la loi du 10 août 2011 sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et le jugement des mineurs qui supprime ce qui restait de la spécificité de la justice des mineurs : création d’un tribunal correctionnel pour mineurs pour les 16-18 ans – ce qui de fait abaisse la majorité pénale à 16 ans – et d’un dossier unique de personnalité du mineur, possibilité de contraindre les parents d’un mineur jugé à témoigner devant le tribunal, création d’une procédure de convocation directe du mineur devant le tribunal pour enfants si des investigations sur la personnalité du mineur ont été réalisées au cours de l’année passée, utilisation plus large des Centres éducatifs fermés en abaissant à 5 ans (au lieu de 7) le seuil de la peine encourue permettant le recours à cette mesure.
Cette spirale répressive et régressive dont les axes apparaissent immuables – accélération du cours de la justice, systématisation de la réponse pénale, sanctions contre les parents d’enfants délinquants – ne répond pas à une montée de la délinquance des jeunes, comme l’affirment bon nombre de médias, mais bien à des enjeux politiques et électoraux. Face à la montée de la crise, il faut détourner l’attention du public des vraies responsabilités en stigmatisant une partie des classes populaires. Les jeunes mais aussi les étrangers, de préférence musulmans, font les frais de cette mécanique bien connue du « bouc émissaire » qui consiste en dernier lieu à diviser pour mieux régner.
Nicolas Bourgoin & Pauline Olland (Université de Besançon)