Article de Alain Salles paru sur LeMonde.fr, le 2 mars 2010
Si le juge d’instruction meurt, ce sera de mort lente. Le projet de loi réformant la phase d’enquête de la procédure pénale ne devrait pas être examiné par le Parlement avant le premier trimestre 2011, selon la ministre de la justice, Michèle Alliot-Marie. Une première partie du texte consacrée au sujet extrêmement sensible de la garde à vue sera d’abord examinée à l’automne.
Il y a urgence: le tribunal de Paris a retenu, lundi 1er mars, la demande d’avocats qui soulevaient l’exception d’inconstitutionnalité des gardes à vue françaises. La question va être soumise à la Cour de cassation qui décidera sous trois mois de la transmettre ou non au Conseil constitutionnel.
La garde des sceaux a commencé, mardi 2 mars, la concertation des professionnels de la justice sur son « avant-projet de futur code de la procédure pénale ». Pour Mme Alliot-Marie, il s’agit d’une « refondation de la procédure pénale » afin qu’elle soit « très claire, très lisible, parfaitement équitable et objective ». Le texte confie l’ensemble des enquêtes pénales aux magistrats du parquet, en supprimant le juge d’instruction.
Le projet est l’aboutissement d’un processus d’accroissement des pouvoirs du parquet dans la procédure pénale, entamé en 2002 – le ministère public conduit aujourd’hui 96% des enquêtes. Mais le texte ne touche en rien à l’architecture du parquet, sous le contrôle de l’exécutif. Au contraire, il réaffirme symboliquement que « les magistrats du ministère public sont placés sous la direction et le contrôle de leurs chefs hiérarchiques et sous l’autorité du garde des sceaux ».
Le procureur qui est maître de l’opportunité des poursuites – il a le droit de poursuivre une infraction ou non – sera en charge de l’ensemble des enquêtes, y compris les affaires criminelles et les plus sensibles qui revenaient aux juges d’instruction. Il devra enquêter « à charge et à décharge ». Il sera placé sous le contrôle d’un juge de l’enquête et des libertés (JEL) qui intervient à la demande des parties ou pour autoriser (ou refuser) des actes coercitifs (perquisitions, écoutes, détention provisoire, etc.).
C’est désormais le procureur qui décidera si une personne suspectée devient « partie pénale », l’équivalent de l’actuelle mise en examen décidée aujourd’hui par le juge d’instruction. Le procureur ou son représentant devra obligatoirement le notifier à la personne à l’issue d’un interrogatoire, en cas de crimes ou de délits punis de dix ans d’emprisonnement ou s’il envisage des mesures de contraintes, soumises à l’autorisation du JEL. Dans les autres cas, cette notification pourra être faite par un officier de police judiciaire, sur instructions écrites du procureur. Elle pourra être faite par courrier du procureur « en matière délictuelle ou contraventionnelle ».
Pour contrebalancer les pouvoirs du parquet, la chancellerie propose une série de mesures censées éviter la possibilité d’étouffer les affaires. Dès lors qu’une personne devient partie pénale ou partie assistée (l’équivalent du témoin assisté aujourd’hui), elle bénéficie de droits de la défense renforcés: elle peut contester sa qualification pénale et demander des actes au parquet.
Selon la chancellerie, environ 25% des dossiers seraient soumis à cette enquête contradictoire, alors que ce n’est le cas aujourd’hui que pour les 4% des affaires à l’instruction.
Le texte prévoit un « devoir de désobéissance » des magistrats du parquet: « Ils ne doivent pas exécuter des instructions individuelles qui seraient contraires à l’exigence de recherche de la manifestation de la vérité et de conduite des investigations à charge et à décharge. »
Une possibilité qui laisse sceptiques les syndicats de magistrats au regard du fonctionnement très hiérarchisé du parquet. « Quand un procureur demande de classer une affaire ou de requérir un non-lieu, il ne le fait pas par écrit, explique Benoist Hurel, secrétaire général adjoint du Syndicat de la magistrature. Et si le substitut n’est pas d’accord, c’est quelqu’un d’autre qui signe le réquisitoire. Tout dépendra du procureur, dont on ne modifie pas le statut ».
Toujours pour compenser les pouvoirs du parquet, le juge de l’enquête et des libertés pourra lui demander de réaliser des actes. S’ils ne sont pas exécutés ou pas assez rapidement, la chambre de l’enquête et des libertés de la cour d’appel pourra reprendre l’affaire et procéder elle-même aux dits actes. Les parties civiles pourront également contester les décisions du procureur devant le JEL.
La chancellerie créée même une « partie citoyenne », qui peut intervenir dans les dossiers sans être victime directe d’une infraction, si celle-ci a causé « un préjudice à la collectivité publique ». La qualité de partie citoyenne est attribuée, ou non, sans possibilité d’appel, par la chambre de l’enquête et des libertés. Mais ce citoyen devra être plutôt riche. En cas de rejet de la demande, si elle est jugée « abusive, dilatoire ou malveillante », il risque en effet d’être condamné à une amende civile pouvant aller jusqu’à 100 000 euros. Le même dispositif existe pour les parties civiles, mais le montant de l’amende ne peut excéder 15 000 euros.
Enfin, le projet de loi apparaît en retrait sur la question centrale qu’avait mis en lumière l’affaire Outreau: la détention provisoire. Le gouvernement ne retient pas les délais-butoir contraignants préconisés par le comité Léger, chargé de préparer la réforme de la procédure pénale. La chancellerie réduit cependant la durée de placement initial en détention provisoire d’un an à six mois en matière criminelle. Le placement en détention provisoire est décidé par un seul JEL. Ce n’est que pour statuer sur les prolongations de détention provisoire qu’un tribunal de l’enquête et des libertés se réunira en formation collégiale.