« La prison aggrave souvent la dangerosité »

Magistrat depuis vingt ans, je suis juge de l’application des peines depuis 2004.

Jusqu’en septembre dernier, j’étais en poste au tribunal de grande instance de Créteil où j’ai exercé à peu près toutes les fonctions : suivi de mesures en milieu ouvert, d’un centre de semi-liberté, coordination du service d’application des peines, présidence du tribunal de l’application des peines.

Le centre pénitentiaire de Fresnes (deuxième maison d’arrêt de France avec 1650 places) est situé dans le ressort du tribunal de Créteil.

En septembre dernier, j’ai rejoint le service de l’application des peines de Paris, composé de neuf magistrats. Chargé de suivre les personnes condamnées, j’ai une mission générale de prévention de la récidive.

Lutter contre la récidive et pour la réinsertion

En milieu fermé, je peux aménager les peines des personnes incarcérées afin de favoriser leur réinsertion : semi-liberté, placement extérieur, placement sous surveillance électronique, libération conditionnelle. Je décide également des mesures de surveillance judiciaire pour les personnes à risque élevé de récidive.

En milieu ouvert, je suis les personnes condamnées à des peines alternatives à l’incarcération et qui s’accompagnent d’un suivi socio-éducatif : sursis avec mise à l’épreuve, libération conditionnelle, suivi socio-judiciaire et travail d’intérêt général pour l’essentiel.

Dans l’exercice de ces missions je suis assisté d’un greffier. Je travaille de façon étroite avec le Procureur de la République qui est chargé de l’exécution des peines et le service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) dont les conseillers d’insertion et de probation suivent les personnes condamnées.

Je suis en outre vice-président de l’Association nationale des juges de l’application des peines (ANJAP). J’ai participé à la conférence de consensus sur la prévention de la récidive.

Vous m’avez posé des questions dans les commentaires et je vous ai répondu.

Sélection de réponses

Giuseppe Berman. Pensez-vous que la prison aggrave la dangerosité des délinquants ?

Il est difficile de répondre à cette question de manière générale car la prison s’inscrit dans un parcours de vie. Dans certains cas, elle peut entraîner une prise de conscience et constituer le premier terme d’un parcours de désistance. Dans d’autres elle va renforcer le comportement délinquant. On observe aussi de manière générale que la prison aggrave souvent les troubles psychiatriques pré-existants et donc la dangerosité.

Ce qui est certain c’est que la prison a un impact assez faible si elle se réduit à l’enfermement. Elle ne peut être un temps utile (en dehors de l’effet de protection immédiate de la société qu’elle engendre) que si la personne incarcérée est accompagnée au cours de sa détention et qu’on lui propose des activités de nature à favoriser un changement de comportement et une réflexion sur son parcours de vie. Tout cela est évidemment très difficile dans des prisons surpeuplées.

Benderxxx. Etes-vous défaitiste par rapport aux récidivistes ?

Il n’y a pas de raison d’être défaitiste face à la délinquance et aux récidives, je constate tous les jours que le suivi mis en place conduit des personnes à arrêter leur parcours de délinquance. L’âge constitue un facteur important de désistement. Evidemment des personnes cessent de commettre des actes de délinquance et d’autres les remplacent. Il faut aussi rappeler qu’il n’y a pas une délinquance mais des types de délinquance (routière, sexuelle, violences conjugales…).

Tommer.Noone. Est-ce que certains prisonniers/condamnés que vous suivez en ce moment présentent des risques de récidive ? Quelles sont les moyens à votre disposition dans ce cas ? Quelles sont les activités qui vous font perdre du temps dans votre travail ( papier, démarches, etc.) ?

La notion de risque de récidive est toujours difficile à appréhender. Pour autant il est bien évident que nous sommes plus attentifs à certains dossiers, soit parce que les faits commis sont graves, soit parce que le parcours de délinquance est lourd, soit encore parce qu’il existe des risques importants pour les victimes, notamment pour certains dossiers de violences conjugales.

Ces dossiers sensibles font l’objet d’un traitement prioritaire. Ils sont pris en charge plus rapidement par le SPIP, éventuellement par deux conseillers d’insertion. Ils peuvent donner lieu à un signalement particulier au commissariat de police local. S’il existe des interdictions, elles sont systématiquement inscrites dans les fichiers de police (qui peut immédiatement interpeller la personne en cas de violation) et en cas d’incident (défaut de réponse aux convocations, non-respect des obligations ou interdictions) la réponse du juge de l’application des peines (JAP) va être très rapide.

Le code de procédure pénale donne au JAP des pouvoirs très importants pour rechercher et appréhender une personne. Je peux par exemple, avec le seul avis du procureur de la République, prendre un mandat d’arrêt européen. La difficulté est évidemment de trouver une réponse proportionnée à l’incident. Une personne peut ne plus répondre parce qu’elle est hospitalisée. Beaucoup de personnes que nous suivons sont en grande précarité et fortement isolées.

Le juge de l’application suit en moyenne 1000 dossiers. Cela génère des tâches administratives importantes. Bien évidemment, il est assisté d’un greffier et de personnels administratifs. Hélas en nombre insuffisant, ce qui le conduit à faire certaines tâches lui-même. L’arrivée des outils informatiques soulage aussi le juge, notamment par l’utilisation de modèles pré-établis. il serait souhaitable que nous soyions aidés par des assistants de justice qui prépareraient nos décisions. Il y a environ 370 juges de l’application des peines en France. C’est beaucoup plus qu’il y a vingt ans mais cela reste insuffisant.

Jérôme Le Havre. Bonjour, je ne comprends pas cette réforme surtout en ce qui concerne le suivi des peines. On nous dit que la justice n’a pas les moyens nécessaires pour effectuer un réel travail de suivi et là on nous affirme que cette réforme va permettre à des auteurs de certains délits d’éviter la prison et d’être suivis. Avec quels moyens ?

La question des moyens est effectivement essentielle. La Belgique a fait un effort considérable pour développer ses structures de probation (les maisons de justice et du droit). Les conseillers belges suivent 25 personnes alors qu’en France le ratio est de l’ordre de 80 à 120 mesures par agent de probation.

Le gouvernement s’est engagé à créer 1 000 emplois dans les services de probation en trois ans. C’est un effort très important. Il devra être poursuivi afin de mettre nos services de probation au niveau du Royaume-Uni, de la Belgique et du Canada.

Côté juges de l’application des peines, il devrait à terme être créé environ 50 postes. Compte tenu des départs à la retraite dans la magistrature – non anticipés – cet effort de recrutement ne portera pas ses fruits avant plusieurs années.

Au-delà du renforcement des effectifs, il convient aussi de s’interroger sur le champ pénal. Dominique Raimbourg, le rapporteur du texte à l’Assemblée nationale, a engagé cette reflexion qui n’a pas été reprise dans le texte par le gouvernement en proposant qu’une première conduite en état alcoolique soit sanctionnée par l’autorité administrative. Il faut savoir que 50 % de l’activité correctionnelle est consacrée aux délits routiers.

Il est sans doute possible de limiter le contentieux pénal afin que les tribunaux ne jugent que les comportements les plus graves. Il n’y a pas si longtemps un chèque sans provision était un délit…

Psych0d@d. Quelle est la proportion en France de peines prononcées mais non suivies d’effet ? J’ai lu un jour qu’on arrivait a une sur trois. Est ce un chiffre proche de la realite ?

Il est très difficile de répondre à cette question car il n’existe pas d’outil statistique pour mesurer une éventuelle déperdition de dossiers. Des dossiers peuvent « se perdre ». Il m’est déjà arrivé de suivre un condamné et de me rendre compte à la lecture du casier judiciaire qu’un dossier ne m’avait pas été transmis. Bien évidemment dans ce cas précis, je le réclame. Le système pour autant s’améliore d’année en année. […]

On a laissé croire à l’opinion publique que les peines d’emprisonnement n’étaient pas executées. Il n’y a pas 100 000 peines non executées. Il y a un volume qui varie – selon les estimations – entre 80 et 100 000 peines en attente d’execution.

C’est bien normal. Les tribunaux prononcent environ 120 000 peines d’emprisonnement ferme par an – auxquelles il faudrait ajouter les sursis révoqués – et ces peines sauf mandat de dépôt (environ 30 % des peines) ne s’exécutent pas immédiatement.

Une étude du ministère de la Justice indique que 70% des peines sont executées dans l’année de leur prononcé. Pour les autres, on peut imaginer différentes hypothèses : le juge de l’application des peines a besoin de temps pour préparer un aménagement de peine dans une situation complexe, le condamné est en fuite et la police n’arrive pas à le trouver, le condamné est gravement malade ou même décédé mais la justice ne le sait pas encore….

Enfin je précise que lorsque l’on lit le casier judiciaire d’un condamné on se rend compte que ses peines ont été ramenées à exécution dans l’immense majorité des cas. Une exception cependant : les amendes difficilement mises en recouvrement par le Trésor Public.

Noroît. Vu la surpopulation des prisons, j’avais cru comprendre qu’on n’emprisonnait que ceux qui posaient un danger. Pouvez-vous m’expliquer pourquoi on s’est dépêché d’arrêter Jérôme Kerviel ?

Jerome Kerviel est resté libre pendant tout le temps de la procédure, ce qui est le principe en droit pénal en raison de la présomption d’innocence. Il avait été placé en détention provisoire quelques semaines juste après son arrestation. Il a exercé les différentes voies de recours prévues par la loi.

La peine était définitive. Elle ne pouvait faire l’objet d’un aménagement de peine en raison d’un quantum supérieur à deux ans, il était donc logique que le parquet général de Paris décide de mettre la peine à execution. On ne peut pas reprocher à la justice à la fois la lenteur et la célérité.

Au-delà de ce cas d’espèce, vous posez la question intéressante du numerus clausus dont on débat depuis de nombreuses années. L’idée serait de ne plus incarcérer à partir du moment où les prisons sont pleines. On voit bien les difficultés que cela pose en pratique. Je crois que l’on peut progresser dans la régulation des flux carcéraux en lissant les incarcérations les moins urgentes. Il y a des expériences en ce sens dans certains ressorts où tous les acteurs se réunissent régulièrement afin d’éviter les pics d’incarcération.

Ozoff. Pour moi, une condamnation a été prononcée de façon individualisée, elle doit être appliquée. Un individu est condamné à 6 mois, il fait six mois, à trois ans, il fait trois ans… Comme ça ce serait clair pour tout le monde et surtout pour les délinquants. Qu’en pensez vous ?

Je ne vois pas pourquoi l’individualisation de la peine s’arréterait au moment de la décison du tribunal correctionnel. On peut concevoir un système où la peine prononcée s’execute sans aucune possibilité d’évolution mais cela me paraît absurde sauf à donner à la peine pour seule utilité la sanction et la rétribution.

Je trouve beaucoup plus intelligent d’avoir un système pénal où la peine d’emprisonnement va pouvoir être réduite et aménagée en fonction des efforts faits par le condamné pour se réinsérer et prévenir la récidive.

Il s’agit ensuite d’une question d’équilibre entre les différentes finalités de la peine. Concernant l’érosion de la peine, le législateur a très largement réduit les possibilités de réductions de peine et de grâce. En début de carrière, j’ai vu des condamnés qui ont bénéficié de 18 mois de réductions de peine et décret de grâce pour une année executée. Il n’y a plus de décret de grâce et les réductions de peine sont au maximum de 5 mois pour une année executée. C’est d’ailleurs cette plus grande sévérité qui explique en partie la surpopulation pénale actuelle.

Ludovic Fossey | Juge d’application des peines

source : rue89.nouvelobs.com
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