Professeur à l’École de criminologie de l’université de Montréal et chercheur au Centre international de criminologie comparée, Jean Bérard a coordonné le livre collectif “Prisons, quel avenir ?” (éd. PUF). S’appuyant sur des témoignages, des statistiques et des enquêtes sociologiques, il s’interroge sur l’efficacité de la prison, et l’absence de sens des temps d’incarcération. Entretien.
Qu’est-ce que vous a poussé a écrire cet ouvrage collectif ?
Jean Bérard – On est dans un moment particulier où on peut tirer un bilan des politiques de ce quinquennat. Le bilan est marqué par une certaine déception et une inquiétude. Christiane Taubira a porté un discours réformateur important. Mais le temps s’écoulant, cette ambition réformatrice s’est largement évaporée pour laisser place à une réforme d’ampleur modeste et à un assez large statu quo en matière de prison, manifesté par le niveau constant de personnes incarcérées. Certes on n’a pas connu ces dernières années un niveau d’inflation carcérale aussi important que pendant les deux derniers quinquennats. Mais la question pénitentiaire demeure entière aujourd’hui.
Quel bilan faut-il tirer de ce quinquennat ?
On a actuellement en France, plus de prisonniers qu’on a jamais eu : 68 600 personnes en prison, plus de 10 000 personnes placées sous surveillance électronique. Le quinquennat s’est ouvert sur l’idée qu’il fallait trouver des alternatives à la prison et la réformer, et il est proche de se terminer avec le résultat inverse. On voulait alors se questionner sur ce qu’il est possible de faire pour ne pas rester dans cette fatalité de l’augmentation du nombre de personnes incarcérées.
Le livre évoque surtout le problème de la surpopulation dans les prisons, pouvez-vous nous en dire plus ?
C’est principalement dans les maisons d’arrêt qu’il y a de la surpopulation. C’est l’aspect le plus connu et le plus souvent dénoncé de la condition pénitentiaire. Cela implique une perte d’intimité, des violences créées par la promiscuité, des agents surchargés, etc. Mais il y a d’autres formes d’horreur pénitentiaire qui s’incarnent dans des cellules dans lesquelles sont mis en place des régimes de sécurité extrêmement contraignants.
Vos recherches s’appuient sur un comparatif entre France, Canada et Etats-Unis, pourquoi ?
Ces exemples ont un statut opposé : les Etats-Unis sont le pays qui incarcère le plus, et dans des conditions abominables. Souvent la France se rassure en se disant “on n’est pas les Etats-Unis”. On a pu observer que là-bas les tendances sont particulièrement inquiétantes. Les prisons canadiennes sont quant à elles souvent données en exemple par les réformateurs français. On a voulu voir si le Canada était vraiment ce vers quoi il faut aller. On voit dans nos conclusions que c’est nuancé.
Au Canada le système est plus savant, les agents sont dotés d’outils d’évaluation des risques et ils peuvent proposer des programmes adaptés. Le modèle vers lequel il faut tendre c’est ça : un système qui permet l’évaluation, la classification et la personnalisation de la prise en charge. Or le canada n’est pas toujours si exemplaire, par exemple l’évaluation des risques est toujours revue à la hausse. Et les moyens de permettre aux détenus un retour à la société est en crise, comme en France.
Au début de l’ouvrage, Jean-Marie Delarue (conseiller d’Etat et premier contrôleur général des lieux de privation de liberté) dit que la prison doit être “autre chose qu’une mise à l’écart”. Dans les comparaisons entre pays vous soulignez un échec des Etats-Unis par une utilisation abusive des quartiers d’isolement, et au contraire vous dites qu’au Canada il y a davantage la possibilité de faire des allées et venues dans la prison… Pour que les prisons soient efficaces, le prisonnier doit être plus libre, n’est-ce pas contradictoire ?
Jean-marie Delarue dit dans le livre qu’“il n’y a pas de prison heureuse”, c’est important pour lui, moi et les autres contributeurs du livre. C’est un enjeu très important de faire en sorte que le temps de la détention ne soit pas seulement un temps de réclusions mais que ça puisse aussi être un temps pour trouver un accès correct aux soins, à l’éducation, à la recherche d’emplois dans la perspective de préparer la libération. Cela étant, ce n’est pas parce que les prisons amélioreraient leurs services que ce ne seraient plus des prisons.
En bref, c’est l’enfermement total en prison qui est la source de tous les problèmes?
Il y a beaucoup de problèmes différents mais c’est vrai qu’on peut le résumer ainsi : le problème de la prison c’est l’enfermement, même si c’est l’essence même de la prison. Ce qu’on veut montrer dans le livre c’est qu’à l’intérieur même de cette question de l’enfermement on y ajoute le questionnement sur les conditions excessivement sévères d’enfermement, d’isolement qui limitent de manière radicale les interactions sociales et qui sont destructrices pour la santé mentale et sociale des détenus.
Dans un cas de terrorisme, par exemple celui de Salah Abdeslam, le débat sur la perpétuité réelle a refait surface, qu’en pensez-vous ?
Je n’ai pas de réponse sur son cas particulier mais ce qu’il faut retenir c’est qu’au fond le débat qui est revenu c’est celui de la peine de mort ou de la perpétuité réelle. Comme Michel Foucault le soulevait pendant le débat sur la peine de mort il y a plusieurs années : “Est-ce que le système pénal a le droit d’imposer des peines définitives ?”. La première violence de la prison c’est déjà la violence de la peine et de la durée d’incarcération.
De quels autres pays devrions-nous nous inspirer pour réformer le système pénal français ?
Les pays scandinaves, la Finlande en l’occurrence car c’est un pays qui a mené un politique de réduction de l’usage de l’incarcération. Ils ont obtenu des résultats importants et cela montre qu’il est possible de mener une politique ferme et une politique de moindre sévérité pénale.
Propos recueillis par Fanny Ménéghin
Prisons, quel avenir? Jean Bérard et Jean-Marie Delarue (ouvrage collectif), ed. PUF, 112 pages, 9€
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