Article paru sur LeFigaro.fr le 2 mars 2010
L’avant-projet de réforme prévoit que les délais de prescription pour les affaires d’abus de biens sociaux ne démarrent plus au moment où l’infraction a été découverte, mais à la date où elle a été commise. Une «manière d’enterrer des affaires», dénonce le principal syndicat de magistrats.
La disposition se trouve au début des 225 pages qui constituent l’avant-projet de réforme de la justice présenté par la garde des Sceaux mardi. Quelques lignes, qui prévoient d’inclure une réforme du délai de prescription contestée dans la réforme de la procédure pénale.
Pour les délits, le délai de prescription, actuellement de trois ans, passerait à six ans. Pour les atteintes à la vie (meurtre, viol), il serait allongé de 10 à 15 ans. Mais ce qui pourrait passer, à première vue, pour une bonne nouvelle pour la justice, suscite pourtant l’opposition de l’Union syndicale des magistrats (USM), premier syndicat de magistrats. Car le projet de réforme précise que la prescription courrait à partir du jour où l’infraction a été commise, quelle que soit la date à laquelle elle a été constatée. Or actuellement, la jurisprudence permet pour certains délits de la faire courir à partir du jour où l’infraction est découverte.
«C’est une manière d’enterrer à l’avenir un certain nombre d’affaires», accuse Laurent Bédouet, secrétaire général de l’USM, joint par lefigaro.fr. «Pour un certain nombre d’infractions dites ‘occultes’, il était important de prendre en compte le jour du constat de l’infraction», précise-t-il. Par exemple, des manipulations financières sont souvent découvertes au moment du dépôt de bilan d’une entreprise ou du changement de majorité dans une municipalité, soit des années après que le délit a été commis. Laurent Bédouet cite l’exemple de l’Angolagate, qui selon lui n’aurait pas pu arriver en justice avec cette nouvelle disposition. Pour le Syndicat de la magistrature, «le gouvernement démontre une nouvelle fois sa bienveillance envers les milieux d’affaires».
Du côté du ministère de la Justice, on réfute toute accusation de manipulation. «Il n’y aucune volonté d’étouffer des affaires», affirme au figaro.fr Guillaume Didier, porte-parole du ministère. Selon lui, «le doublement du délai de prescription (pour les délits, ndlr) permettra au contraire de juger plus de délits». Pour le gouvernement, cette réforme procède donc d’un souci de «simplification et de clarification», en fixant un point de départ précis au délai de prescription. Quant à ceux qui sous-entendent que la ministre a voulu faire passer cette disposition «en douce», noyée dans un texte très dense, son porte-parole leur rappelle que le débat sur la prescription est «très ancien» et qu’il est donc «normal de l’inclure dans une réforme de la procédure pénale». «Le texte est d’ailleurs soumis à concertation et chacun pourra faire valoir ses arguments », conclut-il.
Quoi qu’il en soit, cette disposition ajoute un point de crispation à une réforme qui n’en avait pas besoin. «C’est la démonstration de ce que nous affirmons depuis le début, à savoir que cette réforme part d’une volonté de reprise en main de l’autorité judiciaire», affirme Laurent Bédouet. Il promet donc de batailler sur ce point comme sur ceux de la suppression du juge d’instruction et de la réforme du statut de procureur.