Dix organisations ont réactivé un collectif contre l’inertie de François Hollande face, notamment, à la surpopulation dans les prisons.
Pour beaucoup, le summum de la déception a été atteint dans la soirée du 28 mars, devant le poste de télévision. Ce soir-là, sur France 2, François Hollande affirme : «Les peines plancher seront supprimées, mais quand on aura trouvé un dispositif qui permet d’éviter la récidive.» Cette phrase, beaucoup de magistrats, d’avocats ou de travailleurs sociaux, dont certains avaient soutenu le candidat socialiste, l’ont vécue comme un énième recul. Signe de leur impatience, dix organisations du monde de la justice, pour la plupart classées à gauche, ont alors décidé de ressusciter le Collectif liberté égalité justice (Clej), né en 2007 pour lutter contre les politiques sécuritaires de Nicolas Sarkozy. A l’époque, le PS et les Verts en faisaient partie… «Nous voulons dire au gouvernement qu’il faut y aller», explique Charlotte Le Cloarec du Snepap-FSU, qui regroupe des conseillers de probation.
Nouvelle politique de la justice de gauche
Hollande a peut-être senti cette impatience. Il recevait hier les trois syndicats de magistrats. Avant tout pour leur parler de la réforme du Conseil supérieur de la magistrature. Mais le Président a aussi entériné le report de la grande loi pénale qui devait supprimer les mesures phares de l’ère sarkozyste (peines planchers et rétention de sûreté), tout en posant le cadre d’une nouvelle politique de la justice de gauche. Il a annoncé qu’un projet de loi serait présenté «à l’automne» au Conseil des ministres.
Manuel Valls s’est invité dans la négociation autour de la loi en préparation au ministère de la Justice. Des équipes du cabinet du ministre de l’Intérieur et de celui de Christiane Taubira, garde des Sceaux, se rencontrent régulièrement. Mais la perspective des municipales, l’an prochain, fait craindre à certains que la loi ne voie jamais le jour, le gouvernement craignant un procès en laxisme sur sa politique de sécurité. «Pourtant, chaque journée qui passe, alors que les lois sarkozystes s’appliquent encore, est une journée noire, estime Eric Bocciarelli, du Syndicat de la magistrature (SM) qui a écrit une lettre ouverte sévère à Hollande. Nous ne pouvons nous satisfaire de savoir que « leur abrogation va probablement se faire un jour ». On a profité de notre entretien avec le Président pour lui demander d’agir avec audace, rapidement.»
Les prisons, elles, ont rarement été si pleines. Les chiffres sont tombés hier : 67 493 personnes étaient incarcérées au 1er avril, presque autant que le record de,décembre (67 674 détenus). Certes, «ces chiffres augmentent moins vite depuis un an, note Pierre-Victor Tournier, directeur de recherches au CNRS. Ils sont pratiquement stables : 550 détenus de plus sur les douze derniers mois». Sauf que ce statisticien a élaboré un «indicateur indiscutable», «summum de la maltraitance liée à la surpopulation» : le nombre de matelas à terre, quand il n’y a même plus de place pour ajouter un lit dans les cellules. Cet indicateur-là s’aggrave : «Quand la journée s’achève, rapporte-t-il, on installe dans les prisons françaises plus de 900 matelas à même le sol, contre 200 en janvier 2011. Tout garde des Sceaux devrait se fixer cet objectif : zéro matelas. Si on ne peut pas faire mieux que la droite, autant le dire.» Des chiffres surprenants, quand Taubira martèle que la France doit sortir du «tout carcéral». Plus intriguant encore, la ministre avait utilisé en mars, à l’Assemblée, ces chiffres pour prouver son sérieux à la droite : «Le nombre d’incarcérations au 1er mars vient de m’être communiqué : […] une augmentation de 0,4% d’un mois sur l’autre. A ceux qui passent leur temps à dire que nous vidons les prisons, je réponds que l’incarcération n’a cessé d’augmenter depuis plusieurs mois.»
«Cotes de popularité»
«Dans le domaine de la justice, si on n’avance pas, on recule», s’impatiente Sophie Combes, juge d’instruction et membre du SM. La suppression des tribunaux correctionnels des mineurs promise par Taubira à son arrivée ? « Beaucoup de juridictions n’avaient pas jugé utile de mettre en place cette réforme de Nicolas Sarkozy, témoigne Michel Faujour, du SNPES de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). Mais le ministère ne donne plus aucune information sur le sujet. Alors, le temps passant, les juges se préoccupent quand même d’appliquer la loi.»
En 2012, les conseillers de probation ont dû suivre 5 000 condamnés de plus qu’auparavant. «Vu du terrain, on est dans une politique de continuité par rapport aux années Sarkozy : les travailleurs sociaux n’ont plus d’espoir en la gauche, ils font des tracts partout», rapporte Delphine Colin de la CGT pénitentiaire. Tiraillés entre les discours enthousiasmants de Taubira, la peur de voir revenir la droite au pouvoir et la souffrance du terrain, les organisations de gauche tâtonnent : «Comment critiquer l’attentisme du ministère sans faire le jeu de la droite ? La ministre nous l’a dit : « Ne vous trompez pas d’ennemis. » Mais on voit bien leur tendance à ne surveiller que les cotes de popularité !»
«Moi, je ne sais plus ce qu’est la politique pénale de la gauche, tranche Alain Blanc, président de l’Association française de criminologie. Ces incertitudes participent au climat de démoralisation générale. Petit à petit, les repères s’effritent.»
SONYA FAURE